Chèque en bois Abdelkader S. est un vieillard qui broie du noir à la barre. Il n?a jamais mis les pieds dans un commissariat encore moins dans une salle d?audience, il a vidé le mandat d?arrêt lancé à son encontre pour escroquerie. Il est debout face au juge Djabri de Boufarik (cour de Blida). Seulement voilà, il agace le juge par la manie qu?il a à chercher à communiquer avec Me Benarbia Jr, son conseil. Ce n?est un secret pour personne que les jeunes sont coupables de délits divers, sauf un pratiquement, qui reste l?apanage des adultes : l?émission de chèque sans provision, un délit assimilé à l?escroquerie. Abdelkader signe un chèque de treize millions de centimes et des poussières. Le porteur se présente au guichet. «Niet, no money.» Il revient vers Abdelkader et tente de le raisonner. Rien à faire. Et comme la justice existe pour régler ce genre de conflit, elle est saisie selon la procédure de la citation directe. L?inculpé ne se présente pas. Il croit devoir ne pas répondre à cette justice que l?opinion publique qualifie de «pourrie». Mais le jour où le mandat d?arrêt entre en scène, Abdelkader n?en revient pas. Il n?en revient pas à telle enseigne qu?à chaque fois que le juge pose une question, le détenu cherche des yeux Me Redhouane Benarbia son jeune défenseur. «Dites-donc, inculpé, cessez de regarder votre conseil», dit avec un petit sourire le président dont le visage vire au rose foncé. Timoré, droit comme un I majuscule, Abdelkader est K-O. Au moment où la victime explique que le détenu lui a versé sa dette, mais qu?il réclamait dix mille dinars de dommages et intérêts. Abdelkader, en prison avec tous les désagréments de la détention, semblait redouter le retour au sein de la famille qu?il pense avoir sali par son geste abject. Sans état d?âme, Rédha Seriak, le jeune représentant du ministère public, demande une peine d?un an de prison ferme. Abdelkader ne bouge plus. Il n?a même pas levé la tête et donc les yeux, un scandale l?en empêche. C?est alors que Me Benarbia Jr entre dans le «ring», met une grosse paire de «paragraphes» dans le but au moins d?émouvoir le tribunal mis en piste par l?impitoyable demande du procureur, attentif comme jamais à cette agaçante opportunité des poursuites. Le défenseur débute sa courte plaidoirie efficace par un sec : «Regardez-le donc, M. le président, il a honte, il est vieux, il se sent humilié. Il a la nette conviction d?avoir sali son honorable famille. Il a fait connaissance avec la prison et son cortège d?horreurs. Il pense au mal qu?il a causé à ses proches.» Puis le conseil parle d?un châtiment déjà purgé. Il réclame les circonstances atténuantes et la clémence du tribunal : «Il a vraiment déjà payé, faites qu?il revienne chez lui», ajoute l?avocat, qui suit le verdict avec plaisir puisque grâce au sursis, Abdelkader rejoindra les siens lundi soir, tard, en cette soirée d?automne. C?est aussi la justice. Un citoyen se plaint, la machine se met en marche, le rouleau compresseur avance allègrement. Justice est ainsi rendue puisque la victime retrouve son bien et là, c?est du vrai pas de la justice «toc» comme l?a dit un curieux.