Maud Jefferson ouvre sa porte au facteur, le 31 janvier 1935, et le facteur lui demande poliment : «Madame Jefferson ? ? Mme Vve Jefferson, oui, c'est moi. C'est pourquoi ? ? C'est pour un mandat. Signez là, s'il vous plaît !» C'est bizarre : qui peut bien envoyer un mandat à Maud Jefferson, alors que personne ne lui doit de l'argent ? Maud n'a que de la famille éloignée et elle touche sa pension de veuve toutes les fins de trimestre. Son dernier mandat est arrivé le 31 décembre ; le prochain arrivera le 31 mars. Ceci est un mandat qu'elle n'attend pas du tout : «C'est un mandat de combien ? ? 100 dollars, madame. ? 100 dollars ? Et qui m'envoie 100 dollars ? Faites voir le nom de l'expéditeur !» Le facteur refuse : «Madame, je regrette : vous signez d'abord et je vous remets le mandat ensuite, s'il vous plaît.» Intriguée, Maud Jefferson signe le carnet de reçus. Le facteur lui remet 100 dollars et le coupon. Elle cherche l'adresse de l'expéditeur, mais il n'y a pas d'adresse d'expéditeur. Pourtant, la destinataire est bien Maud Jefferson, sans erreur possible, 173, rue de la Constitution, Philadelphie. L'adresse est également la sienne. Maud Jefferson a beau chercher, ce mandat de 100 dollars est un mystère. Elle n'a pas d'enfant, elle n'a prêté d'argent à personne. Elle n'y comprend rien. Le lendemain, comme Maud est honnête et que cette histoire la tracasse, elle se rend à la poste pour expliquer son cas, au guichet. Or il est rare, à travers le guichet, que l'on puisse exposer son cas très longuement. La dame du guichet lui dit : «Ecoutez, madame, vous avez touché 100 dollars ? Bon. De quoi vous plaignez-vous ? S'il n'y a pas d'adresse d'expéditeur, je ne peux pas l'inventer ! Vous devez bien savoir qui vous envoie de l'argent ! Et puis écoutez, madame, ici c'est le guichet pour les gens qui, généralement, réclament parce qu'ils n'ont pas reçu de mandat. Il n'y a pas de guichet pour ceux qui se plaignent d'en avoir reçu un !... Au revoir, madame, bonjour chez vous. Au suivant !» Maud Jefferson est une petite veuve tranquille, pas très combative. Elle se le tient pour dit et rentre donc chez elle à petits pas tranquilles. Elle donne le bonjour à son chat de la part de la postière, car c'est la seule personne à qui elle puisse le transmettre. Et puis elle soliloque : «Ces 100 dollars, je vais les ranger. Celui qui s'est trompé va s'en apercevoir et me les réclamer.» Elle range donc les 100 dollars dans une boîte à gâteaux, sous l'?il intrigué de son chat. Et elle attend. Elle attend un mois. Pas tout à fait d'ailleurs, car le 28 février est marqué d'un coup de sonnette. Elle ouvre, tiens ! Le facteur ! «Entrez, facteur. Attention au chat. Vous venez pour le mandat, je suppose ? Je savais bien. J'ai gardé l'argent, vous savez ! Sûrement ça a dû manquer à quelqu'un ! Je vais vous rendre ça, juste une minute, je l'ai mis dans la cuisine.» Mais le facteur la stoppe : «Madame, je ne viens pas vous réclamer un remboursement, vous faites erreur, je viens vous verser un mandat !» Cette fois, Maud Jefferson se fâche : «Mais enfin, c'est une erreur, je vous le dis. Je ne connais personne qui puisse m'envoyer de l'argent ! C'est combien, cette fois ? ? 100 dollars, madame, comme la dernière fois. Vous signez ou vous ne signez pas ? Comme il n'y a toujours pas d'adresse d'expéditeur, si vous ne signez pas, l'argent va rester au rebut pendant un an. Après quoi, il reviendra à l'Etat ! Vous serez bien avancée !» Maud Jefferson soliloque à nouveau : «C'est vrai, c'est un peu bête. Autant garder cet argent pour l'instant, et attendre la suite.» Maud est une veuve modeste. Car il existe même des veuves américaines modestes, surtout en 1935. Son mari était ouvrier, elle a une toute petite pension trimestrielle. Elle a soixante-six ans. En résumé, elle «tire le diable par la queue» comme beaucoup d'Américaines. (à suivre...)