«O temps, suspends ton vol !» Le poète, effrayé par la fuite du temps et qui suppliait que celui-ci s?arrête, aurait été ravi de se trouver chez nous où toutes les horloges publiques sont arrêtées. Au point même qu?il faut se demander pourquoi les pouvoirs publics continuent d?installer ces machines qui tombent toutes en panne, faute d?entretien et qui ne sont presque jamais remises en état de marche. Elles deviennent de la ferraille rouillée et sans âme. Il y a bien quelques rares horloges publiques qui continuent à fonctionner, on ne sait par quel miracle, mais elles sont frappées de folie et d?amnésie, puisqu?elles avancent ou reculent parfois de plusieurs heures, ce qui est pire qu?une montre à l?arrêt, celle-ci ayant le mérite de donner l?heure très précise deux fois par vingt-quatre heures, à l?heure, à la minute et à la seconde où elle est arrêtée. Le plus bizarre, très significatif et qui mériterait que l?on s?y intéresse, est que cet état de fait s?est généralisé à tout le pays, c?est comme une malédiction ou une expérience d?extraterrestres qui s?exercent contre nos horloges qu?elles soient mécaniques, électriques ou électroniques. Au point que lorsqu?elles se donnent rendez-vous, les personnes conviennent non pas d?une heure précise, mais se réfèrent toujours aux prières du dohr, du asser ou d?el-icha. Même les horloges offertes et installées par de gros sponsors pour faire de la publicité à leurs produits et qui auraient donc dû jouir de soins attentifs de la part de ces derniers, n?ont pas tardé à subir le même sort. Des Algériens, qui se rappellent ces temps immémoriaux pour les jeunes où chaque ville avait son ou ses horloges publiques, toutes des ?uvres d?artisans chevronnés, vous diront tous les soins et les prévenances qui étaient prodigués à ces témoins du temps et qui égrènent les minutes de notre vie. A Bab El-Oued les célèbres «Trois-horloges» faisaient partie de la vie de la cité. A Oran, Constantine, Annaba, Sidi Bel Abbes, Skikda, Batna ou Mostaganem, toutes les horloges municipales avaient plus de cinquante ans, mais leurs aiguilles continuaient de trotter vaillamment, certaines faisaient, chaque heure, sonner leurs joyeux carillons et la cité vivait à leur rythme jusque derrière les murs des maisons, quand le temps avait de la valeur, la même que celle de la vie.