Legs De génération en génération, des femmes se transmettent les recettes de ces élixirs-miracles. On pratique le «shour» dans toutes les classes sociales : de la mère de famille illettrée à l?intellectuelle qui sort de l?université. De temps en temps un fait divers relate l?arrestation de femmes surprises, la nuit, en train de violer une tombe fraîche dans un cimetière. Des morceaux de linceul sont dérobés, pour servir de sombres desseins... Il y a aussi le pouvoir de persuasion des chouafate ou des mrabtine qui joue un rôle déterminant dans ces échanges. «Tu verras, il ne relèvera plus la tête». «Il sera comme une bague à ton doigt». La tentation est trop forte et l?ampleur du mal n?est pas calculée sur le moment, bien qu?il soit plus important qu?on ne le pense. Selon le Pr B. Combien d?hommes ont perdu la raison ou carrément la vie, victimes de ces empoisonnements involontaires ? El-Hadj Slimane est décédé il y a trois ans. De l?avis de ses belles-filles, son épouse lui aurait administré dans un verre de lait quelques gouttes d?une potion censée le faire revenir sur sa formelle décision de léguer un de ses magasins à son fils aîné, issu d?un premier mariage. «Il est tombé malade après avoir bu le verre de lait». C?est ce qu?elles ont répété au médecin qui l?a ausculté. Ce dernier demanda à examiner la boîte de lait suspecte et fit faire des analyses. Rien, «le poison a été ajouté par la suite». Mais où sont les preuves ? Abderrahmane, 24 ans, a été, lui, victime de sa propre mère qui le suspectait de remettre une partie de son salaire à sa fiancée. «Elle l?a ensorcelé», ne cessait-elle de déclarer. Alors, elle eut recours à une potion contre l?ensorcellement. «Cela ressemblait à des boules noires qui baignaient dans un jus gélatineux», raconta plus tard une de ses amies qui avait découvert le pot rangé dans une armoire. Abderrahmane, qui respirait la santé, dépérissait chaque jour et devint en un mois un véritable cadavre. Son ventre était très enflé, et les médecins conclurent à une péritonite avec complications. Il mourut la veille du jour où on devait l?opérer pour tenter de le sauver. «Il a dû manger quelque chose dehors», répétait sa mère, qui n?avait pas du tout la conscience tranquille, mais qui semblait refuser de croire qu?elle était «la cause de la mort de son fils». Des exemples de ce genre sont très nombreux, et malheureusement personne n?en parle ouvertement pour tenter d?y mettre fin. C?est un sujet tabou. Qui pourrait ouvertement accuser une brave épouse ou une mère d?avoir tué, sans le vouloir mais par bêtise et par ignorance, son époux ou son fils ? Au centre d?une grande ville, un géant aliéné mais inoffensif, nommé Ammar el-Mahboul, erre à travers les rues, le visage animé d?horribles tics. De l?avis de ceux qui le connaissaient, c?était un bel homme courtois, très intelligent. Il était employé dans une société nationale. «c?est sa femme, très jalouse, qui l?a rendu fou en l?envoûtant». Un beau matin, Ammar le courtois sortit de chez lui en hurlant, les bras levés au ciel. Aucun médecin ne put le guérir et ne comprit la cause exacte de ce qui était arrivé à Ammar el-Mahboul. Le point de vue d?un médecin généraliste? - «Nous nous trouvons parfois confrontés à des cas mystérieux d?intoxications alimentaires aiguës qui ont souvent une issue fatale. Les patients sont, dans la plupart des cas, des hommes jeunes, de situation sociale aisée. Mais nul ne peut conclure à l?empoisonnement, faute de preuve», affirme le docteur A. B. ... et d?un juriste : - «Nous ne pouvons pas nous baser sur de simples déclarations de certains membres de la famille de la victime. Il nous faut des preuves tangibles et, dans ces cas précis, elles sont éliminées immédiatement par l?auteur de l?empoisonnement, qui ignore très souvent les conséquences de son acte», déclare R. S. avocat.