Projection Le Centre culturel français d?Alger a abrité, jeudi, une projection du film-documentaire Paradis perdu du réalisateur français Jean-Marc Sroussi. L?histoire se déroule à une soixantaine de kilomètres au sud de Ghardaïa, le long de la Route nationale 1 qui s?allonge d?Alger en direction de Tamanrasset. C?est l?histoire de Ahmed B. qui, ayant tout abandonné, ses proches et son passé, décide d?acquérir plus de huit mille hectares. Une terre aride et inhospitalière. Jour après jour, Ahmed travaille la terre, la cultive, l?irrigue. Avec beaucoup d?amour, il prend soin d?elle. Jour après jour, il accomplit, du matin au soir, le même rituel et avec la même passion que la veille. A force de lui prodiguer ses soins et son amour, la terre aride se transforme en une oasis verdoyante et pittoresque, un vrai éden. Loin de la ville et des vicissitudes de la modernité, il vit seul dans ce paradis perdu en plein désert. Il y mène une existence simple, sobre et authentique. Il vit de sa récolte se contentant du strict minimum pour pourvoir à ses besoins quotidiens. Alors que Ahmed appréciait sa nouvelle existence, en parfait accord avec la terre, il ne se doutait pas, le moindre instant, que son travail allait être ruiné, que ses efforts allaient être vains. Le jour fatidique, le jour qu?il n?attendait pas, est arrivé. Le destin s?est acharné contre lui pour briser ses rêves et réduire à néant ses ambitions. Une invasion massive de sauterelles est survenue dans l?oasis. Par millions, elles surgissaient de nulle part. Face à la fatalité, Ahmed, ne sachant que faire, remet son sort entre les mains de Dieu. Se sentant abandonné, lâché, il voit son paradis infesté par les mangeuses de vie. Toute sa récolte y est passée. Il n?en restait plus rien. Et lorsque les sauterelles avaient fini leur travail dévastateur, elles sont parties comme elles étaient venues, par enchantement, ne laissant derrière elles que ruine et désolation. Ahmed, plein de tristesse et d?amertume, finit par quitter et abandonner à jamais son paradis. Le Paradis perdu montre que ce qui appartient au désert, personne ne peut le lui prendre et en faire sien. Personne ne peut apprivoiser le désert ou encore le transformer. Le désert veille sur son étendue et son immuabilité millénaire. La lecture du film peut se faire, par ailleurs, à un autre niveau dans la mesure où il y a une forte symbolique qui s?exprime en filigrane. Ahmed est représentatif. Il incarne cet Algérien qui, par amour pour son pays, se voue physiquement et intellectuellement. L?oasis n?est, à un niveau métaphorique, que l?Algérie ; et les sauterelles sont, par comparaison, ces hordes barbares et obscurantistes qui se sont abattues violemment et sauvagement et d?une manière imprévisible sur l?Algérie pour la ruiner et la jeter à terre. A l?époque de la tragédie, beaucoup d?Algériens se sont retrouvés contraints de quitter ce pays auquel ils s?étaient attelés tant bien que mal à construire. A l?époque où le terrorisme battait son plein, de nombreux intellectuels, malgré eux, et impuissants devant la fatalité, sont allés se réfugier ailleurs à l?étranger. Paradis perdu du réalisateur français Jean-Marc Sroussi, né en Algérie, donc un pied-noir, offre ainsi une lecture pertinente forte en symboles de l?Algérie de la dernière décennie du XXe siècle. Il offre également une autre vision du désert, vision allant en sens inverse de celle formulée par les peintres orientalistes ou encore par les cartes postales et les prospectus de voyage. Le réalisateur montre un désert vaste, fort et impitoyable qui ne pardonne pas et ne fait point de cadeaux. Une terre effectivement stérile et inhospitalière. Et celui qui ne se plie pas à ses lois millénaires est vite châtié, rappelé à l?ordre.