Il existe un peu partout dans le pays et surtout dans les villes de province, des médecins cabinards dont la réputation est telle que leurs patients sont obligés de se présenter à l?aube pour espérer obtenir un ticket de consultation. Comme pour les marabouts, c?est le bouche à oreille qui fait tout le travail de propagande. L?heureux médecin acquiert le renom. Son aura devient telle qu?il suffit qu?il touche un patient pour que celui-ci guérisse tout à fait. Une espèce d?effet placebo mâtiné de baraka. Ces médecins hyper-sollicités doivent néanmoins user de certaines techniques pour avoir un minimum d?efficacité. Quand on reçoit une centaine de patients par jour et même plus, il faut savoir faire très vite et bien. Aussi est-il courant pour ces médecins à la chaîne de délivrer des ordonnances très longues, généralement plus de six médicaments. Un praticien vous dirait que c?est parce que le mal n?a pas été diagnostiqué avec certitude, alors autant «élargir» le traitement pour être sûr de tomber sur le bon. Comme c?est l?assurance qui rembourse, il n?y a aucun problème. plusieurs exemples de ce genre de pratique médicale existent dans le pays. Ils sont très connus. Ils usent tous des mêmes techniques. Comme deux des leurs, à Sétif et Tébessa, il leur arrive de recevoir entre soixante et cent cinquante patients. La consultation commence tôt le matin. Voyons comment procède l?un d?eux, celui de Tébessa par exemple. Il reçoit par fournée de dix patients en même temps. Ceux-ci sont alignés le long du mur et le médecin, armé de son stéthoscope, les examine l?un après l?autre en un temps record, leur demandant de respirer, d?expirer, de se retourner. Parfois, il demande à l?un d?eux de s?étendre. Ces personnes doivent parler en même temps au médecin et lui dire de quoi ils souffrent. Pendant qu?ils se rhabillent à la hâte, il se met derrière son bureau et commence à rédiger les ordonnances, à encaisser et à rendre la monnaie, le tout, en un temps record. Les patients finissent de se rhabiller pressés par «l?infirmier» qui doit introduire une autre grappe de malades et le docteur passe à la salle de consultation femmes où il se livre à la même parodie d?auscultation, avec la même promptitude. À la sortie, les malades sont orientés par l?infirmier vers un pharmacien «qui a tous les médicaments que le docteur a prescrits». Ainsi, la boucle est bouclée et ces patients, traités encore plus sommairement que du bétail, n?ont-ils pas d?autre choix de guérir par la seule force de leur foi en leur grand gourou de docteur, riche à milliards, ou de mourir bêtement.