Oued-Semar Le tri soigneusement effectué, ces jeunes laissent la place à ce gros engin «tasseur » qui écrase, tel un rouleau compresseur, tout sur son passage. Au seuil des portes d?Alger, des adultes et des enfants récoltent les semences de la faim, de la misère noire et du désespoir. Ici, à Oued-Semar, la décharge publique la plus importante au niveau national , les ordures sont à perte de vue. Des camions de l?entreprise publique Netcom, des APC et ceux de particuliers déversent, chaque jour, des milliers de tonnes d?ordures aussi bien ménagères qu?industrielles. Les immondices forment d?immenses dunes de détritus sur une superficie de plusieurs hectares. Des odeurs nauséabondes s?échappent de partout et donnent au visiteur le tournis. L?envie de vomir vous colle à la peau. Des agents de Netcom gardent les lieux. Ils sont secondés par des gardes communaux. Un agent de l?entreprise de nettoyage lance ce message : «Attention, cet endroit est très dangereux et il est fort risqué de s?y aventurer seul.» Message reçu cinq sur cinq. Des policiers en civil de la sûreté de daïra d?El-Harrach, tout en gardant leur distance, nous accompagnent et veillent sur notre sécurité. À l?intérieur, l?accueil est violent : « Quittez ces lieux. Vous n?avez rien à faire ici. Vous ne faites que colporter des mensonges. Vous êtes des menteurs», lance, d?un air menaçant, un jeune homme tenant dans sa main un crochet. Il justifie sa réaction par les «écrits de presse». «On nous traite d?enfants de hejalate, de ouled l?assistance comme si nous n?avions ni père, ni mère, ni frères et s?urs», explique un autre. «Nous sommes des Algériens ayant des familles à charge comme vous», lance un troisième. Vieux, jeunes et enfants, éparpillés sur toute l?étendue, ramassent tout ce qui est recyclable, tout ce qui se vend et se mange. Chacun sa spécialité, carton, nylon, zinc, bois ou encore pain rassis. Des images trop frappantes, celles de ces enfants, pas plus hauts que trois pommes, crasseux, vêtus de haillons et des crochets à la main. Ces mineurs bousculent leurs aînés pour un droit à ce qui pourrait être leur déjeuner ou leur dîner. Dès l?arrivée d?un camion, tout ce beau monde se chamaille, toujours leur crochet à la main, il se dirige vers sa «seule source de revenu». Ces jeunes éventrent les sachets, en déversent le contenu et récoltent ce qui peut bien les intéresser. Le tri soigneusement effectué, ces jeunes laissent la place à ce gros engin «tasseur» qui écrase, tel un rouleau compresseur, tout sur son passage. Yeux rieurs et joues pourpres, ces jeunots gardent quand même le sourire. «Parfois, en fin de journée, nous formons un groupe pour changer d?air et goûter au plaisir de la plage. Nous allons à la mer pour effectuer quelques plongeons», se défend ce jeune garçon. Ils courent dans tous les sens échappant même aux flashes de notre photographe. Pour la plupart, ils viennent de contrées lointaines. Le terrorisme les a forcés à fuir, à choisir l?exil. Ils vivent dans des taudis ou des favelas, carrément livrés à leur triste sort. Ces «damnés» avouent, sans honte qu?ils y résident depuis plusieurs années : «Je vis ici depuis plusieurs années et je n?ai même pas où aller.» «Que voulez-vous que je fasse, que je meure de faim alors que d?autres se la coulent douce ?», lance l?un d?eux. « J?ai tout fait pour trouver un job respectable, mais chez nous, rien n?est correct, rien n?est juste.» Un autre révèle qu?il fait ce «boulot» pour subvenir aux besoins de sa famille «très pauvre» : «Il faut bien que je gagne ma vie d?une manière ou d?une autre.» Même les employés de Netcom, avec plus de 20 ans de service à la décharge, partagent, eux aussi, «la misère de leurs compatriotes». «Ils sont très mal payés malgré les conditions déplorables d?insalubrité extrême», affirmera un jeune comme pour expliquer que même avec un travail «réglo», on n?est pas à l?abri de la misère. Quelques mètres plus loin du centre «névralgique» de la décharge publique, lieu où est groupée une centaine d?individus ? peut-être même plus?, des baraques en zinc, bâche et carton sont installées un peu partout. Un garçonnet vend des sandwichs-maison. «Non. C?est très bon ; il n?y a rien à craindre », lance un jeunot installé aux côtés du proprio. Un message qu?il voulait transmettre comme pour nous dire qu?ici «la bouffe est clean». Le bonhomme sert des verres de limonade. Le Selecto n?a pas perdu de sa saveur. La suite du plat est seigneuriale. Tout à côté, une odeur du poulet rôti chatouille les narines. Une fumée jaillit d?un bidon de peinture, mais ne semble point «dissimuler» un déjeuner de roi. Bien huilé, le poulet est enfoui au fond d?un silo de jus. Ce dernier est mis dans un bidon de peinture. Des branches servant de braises sont déjà allumées. La salive monte à la bouche. Tout le monde à table?