Damien C. est étudiant en médecine, à Montpellier, dans les années soixante. Grand, le visage rond, au faux air de Bernard Blier, souriant mais réservé, il obtient ses diplômes. Son visage, quand il s'illumine d'un bon sourire, est d'un charme irrésistible. La vie s'ouvre devant lui et rien ne devrait faire obstacle à son bonheur. Il choisit de poursuivre ses études en psychiatrie car, déjà depuis longtemps, les problèmes des maladies psychologiques le fascinent. Pourquoi un être sort-il de la normalité ? Qu'est-ce que la normalité ? Quelles sont les frontières entre l'aliéné et l'excentrique, entre le génie et le dément, l'artiste et le fou ? Pour l'instant, tout se passe bien : Damien est reconnu par ses pairs et il acquiert le droit d'exercer, de se pencher sur les abîmes insondables du mental de ses contemporains, de les guider, de les conseiller. N'a-t-il pas, lui aussi, suivi une analyse indispensable pour évacuer ses propres problèmes, problèmes dont il ne peut être exempt, évidemment, comme chacun d'entre nous. Comme dirait le docteur Knock, «tout bien portant est un malade qui s'ignore». Damien est, lui aussi, un malade qui s'ignore... Au bout de quelques années, il est pris du désir de fonder un foyer et de devenir père de famille. Il rencontre la femme de sa vie dans son milieu professionnel. Peut-être, déjà, a-t-il au fond de lui, l'angoisse fondamentale qui va le mener au crime, celle de perdre l'amour dont il a tellement besoin. Maintenant qu'il la tient, la femme de sa vie, la charmante Paule, infirmière coquette et efficace, maintenant que les liens du mariage lui ont donné des droits ? des devoirs aussi ? sur elle, il ne s'agit pas que quelqu'un vienne la lui prendre ! La vie est trop dure pour obtenir ses titres, pour séduire une femme, pour éduquer des enfants... A présent, toute la famille est bourgeoisement installée à Marseille. Les clients affluent au cabinet privé de Damien, en plein centre-ville. Les années passent, les enfants naissent : deux filles, Françoise et Laurence, qui se suivent de près, l'une née en 1977, l'autre l'année suivante. Elles sont charmantes, ces fillettes, et bien élevées. Avec une certaine dureté, pourrait-on dire : Damien, qui n'a sans doute pas connu une enfance heureuse, a banni de leur chambre de lycéennes toute image frivole ou superflue, car, dit-il, elles ne peuvent étudier en rêvassant devant des photos d'acteurs de cinéma ni entourées de babioles saugrenues. Paule, malgré la tendresse qu'elle porte à son époux, voudrait bien que ses filles aient un peu plus le droit de rire à la maison. Damien acquiert deux appartements qui se font vis-à-vis, sur le même palier : l'un pour se loger avec sa famille, l'autre afin de lui servir de cabinet de consultation. Ainsi, il n'est jamais loin des siens. Obsession déjà ? Maladie de la persécution ? Damien tourne, par ailleurs, insensiblement, au tyran domestique. Quand il rentre le soir, les visages se ferment, les conversations entre ses êtres chers s'arrêtent. Il ne s'agit pas de contrarier papa. Depuis quelque temps, Damien, psychiatre renommé, commence à parler d'ennemis mystérieux contre lesquels il serait important, et même vital, de pouvoir se défendre, par tous les moyens. Françoise et Laurence, adolescentes rieuses, en restent ébahies. Il se met parfois à sonder les murs à la recherche de micros posés par les ennemis qui le surveillent et veulent recueillir ses conversations... Paule, avec son expérience professionnelle du monde de la folie, sent l'angoisse l'envahir. Un soir, papa entre dans la salle à manger avec un paquet sous le bras. Ce sont des cadeaux pour tout le monde. Des cadeaux ? Paule et ses filles sont intriguées, mais aussi vaguement inquiètes. Quand elles voient les cadeaux apparaître, leurs visages se tendent, surtout celui de Paule. Papa a décidé d'offrir à chacune un revolver, un vrai, qui tire de vraies balles. Il y en a quatre, et il oblige Françoise et Laurence à prendre en main celui qu'il leur destine : de lourds engins, copies conformes de ceux du Far West, brandis par Buffalo Bill ou Billy le Kid... (à suivre...)