Le roi exauça son v?u immédiatement. Le temps passa et l?été arriva. Le jour de l?accouchement, les s?urs jalouses remplacèrent les nouveau-nés par deux horribles chiots tout pelés. Quand le prince se pencha sur le berceau royal, et qu?il vit les affreux petits chiens, il répudia sa troisième femme et l?enferma dans la tour à la place de ses aînées. Les deux s?urs cachèrent les bébés dans une corbeille qu?elles donnèrent la nuit même, en secret, à Settoute oum lebhout. Settoute, mauvais génie du royaume, se chargeait d?accomplir, avec un réel plaisir, toutes les mauvaises actions. Au crépuscule, Settoute la sorcière, sortit du château et marcha toute la nuit ; à l?aube, elle arriva près d?un village. Sur le seuil de la première habitation, elle déposa furtivement la corbeille et se sauva à toutes jambes. Dans cette humble demeure, vivaient, depuis de longues années, Si Mokhtar le poète et sa femme. Il manquait au bonheur de ce couple un enfant. A l?aube, à l?appel du muezzin, après avoir fait sa prière, Si Mokhtar avait pour habitude de s?asseoir à l?entrée de sa demeure et que de fois il avait demandé à Dieu : « Ô tout-puissant faites que ma femme me donne un enfant ; Le bonheur que tu nous as accordé, dans ton infinie bonté, sera tellement plus grand !». Ce matin-là, il n?avait pas fini de prononcer son v?u qu?il entendit les vagissements d?un bébé ; surpris, il appela sa femme et le couple ébahi découvrit deux nouveau-nés. Les jumeaux avaient déjà mêlé à leurs fins cheveux des épis d?or et des épis d?argent ! Avec mille précautions, le poète et sa femme installèrent dans leur humble demeure, dans leur c?ur et dans leur vie les nouveau-nés. Ils nommèrent le garçonnet, qui avait une chevelure plus argentée que dorée, El Fédda ; quant à la fillette, qui avait des cheveux plus dorés qu?argentés, fut simplement appelée Déhbia . Les hivers, les printemps, les étés, les automnes tournoyèrent et les jours, les mois et les années s?envolèrent. Et les jumeaux grandirent en force et en beauté faisant la joie et la fierté de leurs parents adoptifs. Le père avait fini par comprendre que la couleur de leurs cheveux était une marque divine ou l?empreinte d?un sceau royal : aussi apprit-il très tôt aux jumeaux à bien cacher leur chevelure ; alors, dès leur plus tendre enfance, El Fédda portait un turban de soie grège et Déhbia un foulard aux longues franges frissonnantes. Les hivers, les printemps, les étés, les automnes tournoyèrent et les jours, les mois et les années s?envolèrent. Un soir d?hiver, sur toutes les routes aux alentours de Constantine, les villageois s?en retournaient chez eux, à petits pas, recroquevillés sur eux-mêmes pour se protéger du vent qui soufflait très fort. Seul, El Fédda, la démarche altière, avançait tête haute. Il savait qu?il était beau et le lisait à chaque instant dans le regard des passants. Même Settouta était intriguée : « Mais qui donc peut être ce beau jeune homme à la noble stature ? » se demandait-elle. Soudain, comme si le diable son maître voulait lui apporter réponse, le vent souffla plus fort emportant au loin la coiffe d?El Fédda, laissant voir ainsi sa chevelure d?argent et d?or. La curiosité de la sorcière fut alors à son comble et elle décida sur l?heure de le suivre discrètement. Au crépuscule, quand le jeune homme arriva au village et qu?il s?arrêta près de la première habitation pour y déposer son panier avant de frapper, Settouta se rappela qu?il y a vingt ans, elle s?était penchée sur le seuil de cette même maisonnette pour y déposer, elle aussi, une corbeille. Elle était encore plongée dans ses vilaines pensées, lorsque la porte s?ouvrit ; une jeune fille, que Dieu s?était plu à parer de toutes les grâces et d?une chevelure d?or et d?argent, apparut. « Frère, nous étions très inquiets à ton sujet, tu rentres bien tard ! » dit la divine créature. (à suivre...)