Quand les jeunes gens s?éloignèrent en laissant traîner derrière eux leur rire cristallin, Bramba qui avait percé le secret qui alourdissait le c?ur des parents leur dit : «Tournez la bague que j?ai au doigt, en fermant les yeux, et demandons aux Djinns de nous raconter la véritable histoire de nos jumeaux bien aimés !» Puis elle reprit dans un souffle : «Djinn ! Jaillis de la vague, du mont, de la forêt ou du feu ! Apparais et exauce mon v?u !» Alors un vent violent souffla, la porte s?ouvrit avec fracas et on entendit une voix : «Les enfants qui ont été déposés sur le seuil de votre maison par Settouta sont le prince et la princesse du vieux rocher. Leurs tantes malveillantes les avaient subtilisés au moment de l?accouchement et les avaient remplacés par d?affreux petits chiens. Le roi indigné a enfermé depuis leur mère dans la vieille tour et vit avec les méchantes tantes. Settouta est la vieille qui est venue manger chez vous l?autre soir. Elle en a profité pour jeter un sort à Dehbia. La sorcière n?a pas hésité à envoyer à la mort El-Fedda, sachant que sa s?ur ne lui aurait jamais survécu. C?est ainsi qu?elle a tenté, une seconde fois, de se débarrasser des jumeaux !». Le vent tomba, la porte se referma et la voix se tut. Quand les deux jeunes gens revinrent de leur promenade ils trouvèrent leurs parents en pleurs. Bramba raconta simplement ce qu?ils venaient d?apprendre. Les jeunes gens se jetèrent dans les bras de leurs parents adoptifs en disant : «Maintenant qu?on connaît le secret de notre naissance, on vous aime davantage !» Les parents réconfortés proposèrent alors à El-Fedda de fêter ses noces au plus vite. «Il faut que le mariage soit célébré dans un palais digne du prince du Vieux rocher», répondit Bramba. «Père, tourne ma bague et répète avec moi : Djinn ! jaillis de la vague, Du mont, de la forêt ou du feu ! Apparais et exauce mon v?u !» Puis elle reprit : «Je voudrais que tu construises un château juste en face du palais royal et que tu nous y transportes tous sur l?heure !». Et, sur l?heure, ils y furent transportés ! A leur arrivée, les lanternes, les lampes, les lampions s?allumèrent et le palais fut illuminé. Des jets d?eau jaillirent de toutes parts dans les jardins pleins de roses, de lys et d??illets ; les oiseaux multicolores, volant des orangers odorants au jasmin aux mille fleurs, chantaient à l?unisson avec le rossignol magique. Des statues merveilleuses se miraient dans d?immenses bassins parmi les nénuphars d?un blanc délicat. Les parents n?avaient pas assez de leurs yeux pour tout admirer, ils n?avaient pas assez de tous les mots de la langue arabe pour rendre grâce à Dieu. «Père, dit Bramba, il faudrait que tu ailles, dès ce soir, inviter le roi et les reines du vieux rocher ; mais insiste bien, c?est des trois reines qu?il doit être accompagné !» Devant l?air sceptique du père, la jeune femme insista : «Rappelle-lui, selon la coutume, qu?il doit te rendre, dès ce soir, la visite de bon voisinage ; tu verras, il ne saura manquer à son devoir!» En effet, le lendemain, Sa Majesté, en compagnie de ses trois femmes, entra dans le château, précédé par ses émissaires zélés et suivis par ses serviteurs. Le roi, qui trouvait le palais encore plus beau que le sien, prit soin de cacher son admiration ; mais quand il aperçut les jumeaux, il ne put contenir plus longtemps son enthousiasme et s?exclama : «Si le palais est magnifique, les propriétaires le sont encore davantage ; que Dieu soit béni pour ce qu?il crée et par de tant de grâce !» Quand le sultan, ses épouses et sa suite s?installèrent confortablement sur les profonds tapis et les coussins de soierie rare, on leur servit le café. Dehbia entra alors portant un plateau d?or, finement travaillé sur lequel étaient posées des tasses d?argent pur. Elle était suivie, de près, par El-Fedda qui portait, lui, un plateau d?argent, délicatement ciselé sur lequel étaient dressées des tasses d?or fin. Le sultan admiratif remarqua : «On n?a jamais aussi bien assorti l?or et l?argent, parole de roi !» Bramba répliqua vivement : «L?or et l?argent se marient, encore bien mieux, Majesté, dans la chevelure du prince et de la princesse du vieux rocher !». Et joignant la parole au geste, elle retira le foulard et le turban qui cachaient les cheveux des jumeaux : une nappe d?or couvrit alors jusqu?à la taille Dehbia ; quant à El-Fedda, la lumière qui émanait de sa chevelure éblouit l?assistance. Le roi, médusé, buvait du regard et admirait de toute son âme les deux jeunes gens. Quand le sultan remarqua l?embarras de ses autres épouses, il s?étonna ; mais c?est lorsqu?il vit, répondant à l?appel du sang, sa troisième femme se jeter dans les bras des jumeaux, que le roi comprit enfin la machination dont il avait été victime. Alors, il mêla ses larmes, tout monarque qu?il était, aux pleurs de sa femme et de ses enfants. «Settoute oum lebhout» et les s?urs ingrates furent exilées à jamais sur les monts de la Nostalgie. On fêta pendant sept jours et sept nuits le mariage de Bramba et d?El-Fedda. Quant à Dehbia, qui était la plus belle parmi les belles, elle devint la princesse la plus courtisée du Maghreb. L?histoire d?épis d?or et d?épis d?argent s?est déroulée et a glissé sous nos doigts comme un fil de soie?