Vécu Tout le monde se côtoie non sans gêne dans des immeubles-dortoirs en essayant de préserver le peu d?intimité qui reste aux locataires. Existe-t-il une architecture de guerre ? Oui, si l?on se réfère aux quatorze immeubles de la cité El-Bahia. Les parties communes ne sont pas encastrées, mais carrément ouvertes aux quatre vents. Les portes d?entrée des maisons sont visibles à plus d?un kilomètre. Les maisons, formant presque un tas, donnent l?air d?être imbriquées comme dans un grand paquebot ou un navire de guerre. Ce qui frappe le plus, c?est l?absence d?«intimité». N?importe qui peut voir n?importe qui et n?importe quoi ! Mais pourquoi donc, une telle architecture qui consiste à empaqueter des milliers de personnes dans quelques mètres carrés ? «Après ce qui s?est passé à La Casbah avec la Bataille d?Alger, le gouvernement français de l?époque voulait épier, dans les moindres détails, les agissements des Algériens et ce, à l?effet de ne pas revivre les mêmes turpitudes que celles vécues avec la Bataille d?Alger. Il lui fallait donc construire des cités où l?on peut tout savoir sur la population, absolument tout. Ceux qui y rentrent, ceux qui en sortent et ce, à n?importe quel moment de la journée. Pendant toute l?année», nous a affirmé un architecte à l?APC de Kouba. Pour cela, il fallait alors une architecture «nue», c?est-à-dire de longs balcons à chaque étage, sans aucune séparation entre les blocs et entre les maisons. De loin, on peut facilement guetter les allées et venues des personnes. «Ici, on n?a pas besoin de boîtes aux lettres, car le facteur peut donner le courrier au voisin qui va directement vous le remettre», ironise un jeune qui dit avoir usé, en vain, de toutes les astuces pour rejoindre ses deux frères qui sont, depuis longtemps, à l?étranger, l?un à Londres, l?autre à Chicago. Et ce style d?architecture a pesé, au fil des années, sur les m?urs et le comportements des personnes. La promiscuité a tissé des liens indissolubles jusqu?à faire d?El-Bahia un îlot à part. A mesure que le temps passait, les habitants se rendaient à l?évidence qu?ils formaient avant tout une grande famille. De nouveaux comportements ont vu le jour. Une nouvelle mentalité aussi comme le fait de se considérer comme «plus Koubéen que les Koubéens». «Posez la question à n?importe quel enfant d?El-Bahia et il vous répondra qu?il se sent plus Koubéen que n?importe quel autre Koubéen des quartiers avoisinants», affirme un vieux qui fait partie des premiers habitants de la cité. Cela fait, évidemment, des jaloux dans les autres quartiers de la petite ville de Kouba qui ne se lassent pas, outre mesure, de balancer à chaque fois l?interminable discours des sourds qui consiste à chercher qui est venu le premier l??uf ou la poule?