Jean, quarante-sept ans, est célibataire et chômeur. Il habite avec sa s?ur dans la banlieue de M. ; pas de quoi se retrouver devant les assises. Bien sûr, tout n'est pas rose, l'avenir est peu engageant, les fins de mois difficiles. Et Jean n'est pas en parfaite santé. Et les soins, ça coûte. Il en sait quelque chose. Alors, un beau jour, Jean se dit que la solution est simple. Comme c'est un esprit fruste, il ne passe pas trop de temps à fignoler la technique pour s'approprier l'argent des autres. Il se présente à 16h 30, un après-midi de mars, dans une agence du Crédit Lyonnais. Il entre en frémissant un peu, mais sans faiblir, et s'approche de la caisse. Personne ne le remarque, il n'a rien de remarquable, pas de cagoule, le visage découvert, pas de mitraillette, un si petit revolver qu'il faut presque se pencher pour l'apercevoir. Jean s'approche de la caissière et lui demande la caisse. Conformément aux instructions, la caissière sait qu'il ne faut pas faire de zèle, pas prendre de risques. Et d'ailleurs, ce braqueur n'a pas l'air d'un spécialiste. Elle glisse des billets sur le comptoir. Jean estime au jugé la somme qu'on lui remet. Quand il pense qu'il en a assez pour ses projets, il s'en va. Avec 19 000 francs. Il ne saute pas dans un véhicule rapide, il n'enfourche pas de moto, pas même de bicyclette, il n'en possède pas. Pas de complice non plus. C'est tout juste s'il presse un peu le pas, en serrant les liasses de billets pour qu'elles ne tombent pas de ses poches. Et, comme il n'y a pas de petites économies, Jean s'engouffre dans le métro. A la banque, on a déjà compris que le danger est écarté. Comme on a eu tout loisir de dévisager Jean et de remarquer ce qui le caractérise par-dessus tout, on prévient la police, à qui on donne tous les précieux détails de ce hold-up du siècle. La police, munie de ces éléments, se met en branle, tandis que Jean sort du métro, deux stations après y être monté. Comme on est au milieu de la journée, il entre alors dans un bureau des PTT. Va-t-il écumer là aussi les fonds publics ou privés ? Pas du tout, il fait sagement la queue, prend son tour et verse son butin, presque en totalité, sur son livret de Caisse d'épargne. Enregistrement, signatures, cachets. Pas de problème : avec quelques billets gardés en poche, Jean décide de s'offrir la tournée des grands ducs, enfin, la tournée qui est à sa portée. Il rentrera en titubant un peu, mais comme il est à pied, il ne met pas la vie de ses concitoyens en danger. Il faut bien célébrer son aventure et la vie nouvelle qui se dessine à l'horizon ! La police arrête Jean un peu plus tard. Il est facile à reconnaître, car il n'a plus une seule dent. En janvier 1991, il a été obligé de se les faire toutes extraire. Et c'est justement pour pouvoir s'offrir un dentier, prothèse si chère et si mal remboursée par la Sécurité sociale, ce dentier qui permettrait à un homme de quarante-sept ans de ne plus avoir l'air d'un vieillard, de rechercher l'amour sans qu'on lui ricane au nez, que Jean avoue avoir effectué son petit braquage. Il vient de récolter une peine de trois ans.