Un jour comme un autre à O., Italie. Madame M. est occupée à préparer le dîner. Au-dehors, il fait beau. S'il pleuvait, d'ailleurs, rien ne changerait à la tragédie qui se prépare car, pluie ou soleil, il est l'heure de la promenade du petit Rudy. Giuseppina M., cinquante-sept ans, surveille sa sauce bolognaise et lance à son époux : «Chéri ! il faudrait faire prendre l'air à Rudy. Je surveille ma sauce. Tu veux t'en occuper ? Le dîner va être prêt dans dix minutes.» Monsieur M. grogne un peu, abandonne son journal, referme ses lunettes, quitte ses pantoufles, enfile ses chaussures, met sa veste. Rudy est heureux car il sait qu'il va aller se promener avec son papa, joie qui se renouvelle plusieurs fois par jour. Monsieur M. sort de chez lui en compagnie de Rudy. Une fois dans la rue, malgré les instructions très strictes de madame M. sur cet important sujet, monsieur M. dit : « Allez, va ! On ne lui dira rien !», et Rudy, avec un regard complice vers papa, tout heureux, s'élance en gambadant pour profiter de sa liberté. Il ne sait pas que ses instants sont comptés. Quelques minutes plus tard, Rudy aperçoit quelque chose, ou quelqu'un, de particulièrement passionnant de l'autre côté de la rue et, sans plus réfléchir, il s'élance entre deux voitures garées le long du trottoir. Un véhicule surgit, trop vite peut-être. Un crissement de pneus, un choc. A peine un cri du pauvre Rudy, qui est projeté en l'air et retombe, inerte. Du sang coule de son nez et de ses oreilles. Monsieur M., figé d'horreur, n'aura que le temps de recueillir ses dernières convulsions. Le destin a frappé. Mais le destin ne s'en tiendra pas là. Inutile de décrire la réaction de madame M. quand son époux regagne leur domicile en portant le cadavre de Rudy entre ses bras. Cris, larmes, crise de nerfs. Explications. Et monsieur M. avoue : il a cru que leur petit Rudy serait plus à l'aise en toute liberté. Madame M., les yeux pleins de larmes, se laisse aller à un mouvement de colère et gifle son mari. Pour elle, la disparition de son cher Rudy est une catastrophe inouïe. Que vont-ils devenir, à présent ? Leur vie est brisée. Jamais il n'y aura personne capable de remplacer Rudy, sa gaieté, son intelligence, son affection. Une fois passée la crise de larmes, elle sombre dans une profonde dépression, qui demande des soins médicaux. Monsieur M. ne sait plus que faire. D'autant plus que son épouse le tient pour directement responsable de la mort de Rudy. L'automobiliste, qui a écrasé le petit, ne l'intéresse pas : le grand fautif est monsieur M., qui a enfreint la consigne, qui a laissé Rudy lui échapper, l'a laissé courir vers la mort. Sans lui, rien ne serait arrivé ; sans lui, Rudy ferait toujours des fêtes à sa maman ; sans lui ? le monstre ? le foyer des M. serait encore illuminé par la joie de vivre. Après la dépression, les larmes, les insomnies, après avoir perdu plusieurs kilos, madame M. se mure dans un silence encore plus impressionnant. (à suivre...)