Joint en septembre Saâdi R., 31 ans, chômeur et papa de deux bambins, jure une première fois devant le juge qu?il est innocent, puis au cours de l?interrogatoire, il se met à table. Le président de la section «détenus-flagrant délit» sourit et prie l?inculpé de tout reprendre en disant la vérité, toute la vérité. Saâdi prend peur. Il tremble de toute sa carcasse. Il tente de convaincre le juge qu?il vient de dire la vérité. Lemnouar, le magistrat, tambourine sur le pupitre. Il attend que «Si Saâdi» veuille bien cesser de faire perdre son temps au tribunal. «Bon, c?est bon et même très bien. Le tribunal avait cru à tort que l?inculpé se mettrait à table et nous débarrasserait de ce dossier», dit calmement le juge qui ouvre la chemise et en tire le P-V de la PJ. Il lit à haute voix que lorsque les éléments des services de sécurité avaient emprunté la ruelle où Saâdi se trouvait seul, ils avaient aperçu une lueur pourpre briller dans la nuit noire. A leur «Halte, police !», Saâdi s?était débarrassé du joint, lequel, en touchant le sol, avait fait des étincelles. «Sur le P-V, il est précisé que vous étiez seul dans la ruelle», dit le juge, qui ajoute qu?«effectivement, les policiers avaient ramassé le mégot jeté par Saâdi». Le silence de circonstance qui régnait jusque-là dans la vaste salle d?audience du tribunal de Blida est rompu par un déchirant : «Pardon, je me suis trompé. C?était la première fois, je voulais seulement goûter à la chira. Je le regrette vivement. Je m?excuse d?avoir aussi menti. Je ne croyais pas que les policiers avaient écrit ce que je leur avais raconté et puis lorsque je...» «Ah bon, coupe le juge, vous n?allez pas encore prétendre ne pas avoir signé le P-V avant votre retour en garde à vue ?» Saâdi reprend sa fâcheuse habitude : le dribble. Il a tout juste le temps d?ouvrir sa grosse paire de lèvres que Lemnouar lance : «Taisez-vous. Vous allez finir par agacer le tribunal qui n?a pas envie de transgresser les us et coutumes.» Le détenu met les mains derrière le dos. Elles sont moites. C?est là le signe de son stress. Le procureur, invité par le président à prendre la parole, se lève, regarde bien le profil de l?inculpé et articule : «M. le président, que voulez-vous que le parquet dise devant un père de famille qui se comporte pire qu?un garnement, il ne dit pas la vérité, il ne respecte pas le tribunal. Six mois de prison ferme lui permettront de mieux se comporter à l?avenir car il y va du devenir de ses deux enfants dont il ne s?est souvenu qu?à la barre.» Effectivement, c?est probablement sa situation familiale qui va permettre à Saâdi de retrouver la liberté car le sursis (six mois de prison) a été l'épée de Damoclès brandie par le juge. Saâdi, lui, qui avait failli avaler sa pomme d?Adam en entendant l?expression consacrée : «Le tribunal condamne l?inculpé à une peine de prison...», s?est vite ressaisi en écoutant la suite : «Assortie de sursis.» La peur qui habillait sa face a subitement disparu et le frais condamné rejoint ses compagnons de box pour le retour en prison avant sa libération.