Va-tout Lorsqu?un inculpé jure à la barre, il y a parmi l?assistance ceux qui croient en son serment, ceux qui n?y croient pas du tout et ceux qui en rient carrément. Généralement, les magistrats n?aiment pas cette façon spontanée de faire ; ce sont eux qui le demandent lorsque la nécessité le veut. Le serment n?est faisable que dans un lieu de culte où toutes les conditions spirituelles sont réunies. Salah Eddine est inculpé de vol d?objets de culte. Le comble. Il a fait mieux qu?invoquer Allah et les prophètes, il a soudain sorti de sa poche un petit livret, une copie du Saint Coran et l?a placé devant ses yeux en signe de preuve qu?il n?a rien volé. Mais ce geste n?a aveuglé ni le juge Lemnouar de Blida ni Me Djamel Boulefrad, son avocat, en mauvaise posture durant ce premier quart d?heure qu?aura duré le procès. Avec le sobriquet de Salahdine, le détenu a cru avoir en face de lui non pas Bengharifa, le président, mais un Croisé devant une porte d?El-Qods. Il n?a pas dit la vérité. Il a triché. Dans une salle d?audience, on ne dit jamais à quelqu?un, fût-il criminel, qu?il a «menti». «Innocent», a-t-il plaidé haut et fort alors qu?il a été pris en flagrant délit de vol par des? fidèles. Au moment où il brandit gauchement le Livre saint, le magistrat se fâche : «Oh là inculpé. Pourquoi maltraiter le Coran ? Le tribunal espère aussi que vous ne vous étiez pas rendu avec dans un lieu sale et insalubre et que sais-je.» Plus que contrarié, c?est ce moment que choisira le prévenu pour changer de tactique. Il jure (encore !) que le Coran lui appartient qu?il n?a commis aucun délit, qu?il est innocent, qu?il ne veut plus rester en prison où il a découvert d?horribles scènes de la vie quotidienne. Il supplie son conseil de le sauver. Me Boulefrad, en homme de loi averti, sait ce qui attend légalement le «Saladin» de Blida, ce voleur des lieux de culte. D?ailleurs au cours de sa brève mais percutante plaidoirie, le défenseur n?a eu aucun mal pour plaider coupable et responsable. «La déontologie, les faits, la manière de se défendre, de mon client s?entend, m?empêchent de le suivre sur un terrain miné. Nous sommes inculpés de vol et nous l?assumons», s?est écrié, un peu gêné l?avocat qui s?est néanmoins accroché à la clémence du tribunal malmené, il est vrai, par le détenu. Avant l?intervention de Me Boulefrad, le procureur s?est appuyé sur les durs termes de l?article 350 et a demandé la non-application de l?article 53 du Code pénal : deux ans de prison ferme. L?assistance est tout ouïe, les attitudes du prévenu, du représentant du ministère public, de la défense et du juge ont bouleversé une grande partie du public. Un proche de Salahdine a compris la ridigité de l?avocat. La prison ferme prononcée par Lemnouar entre en droite ligne de l?application de la loi, même si l?inculpé a crié à l?innocence toute cette journée, ce qui est somme toute admis dans les salles d?audience, ces lieux privilégiés de l?exercice de la liberté d?expression et où justice est censée être rendue. Ce qu?il y a lieu de retenir dans ce cas d?espèce, c?est que ce délit demeure avant tout un délit et que les sentiments vis-à-vis de la religion et du culte n?ont rien à voir. Ici, Lemnouar a strictement appliqué la loi, quant à Salah Eddine, il s?est dirigé vers le box la tête baissée, confus, mais surtout catastrophé par cette sentence. Il devait assurément s?y attendre puisqu?au début, il lui avait été dicté deux verdicts dont un pour? vol.