L'avion Bastia-Paris se range en bout de piste pour décoller et ramener vers la capitale son contingent de vacanciers heureux et d'insulaires que leurs affaires appellent loin de l'île de Beauté. La chaleur est intense en ce mois d'août et le sol émet une vibration qui trouble les images comme s'il s'agissait de mirages lointains. Le gros Mercure, une fois tout le monde à son bord, s'apprête à recevoir un dernier paquet, non des moindres : l'argent transféré par le Crédit agricole vers le continent, comme tous les mardis. Et cela suivant la procédure habituelle, par les services de son transporteur de fonds qui les confie d'ailleurs lui-même à Sécuripost, car seule Sécuripost a l'autorisation d'accéder aux pistes d'envol de Bastia et, par voie de conséquence, a la possibilité d'approcher au dernier moment l'appareil qui doit emporter le précieux colis. Ce colis sort de la fourgonnette blindée. Il est reçu par le chef d'escale qui signe le bordereau. On le jette à la va-vite au-dessus de la bâche bleue qui recouvre les bagages des vacanciers : une autre bâche vient pudiquement, mais légèrement, recouvrir ce trésor de billets de banque, on ferme la porte de la soute et l'affaire est faite. Un certain nombre de personnes connaissent cette procédure. Un certain nombre de ces personnes, bien qu'élevées dans des principes de saine morale, se disent qu'au fond, toutes ces espèces sonnantes et trébuchantes seraient aussi bien dans leurs poches que dans celles des destinataires. C'est pourquoi... C'est pourquoi, le 10 août, Emile V., pilote d'hélicoptère et instructeur chevronné, malgré ses vingt-cinq ans, alors qu'il atterrit sur le terrain de sport, voit s'approcher, de son Alouette II, un barbu d'une cinquantaine d'années. Le short, les sandales de plage, le bronzage, la casquette de toile et les lunettes de soleil, l'accent continental : aucun doute pour Emile, il s'agit d'un vacancier qui vient se renseigner. Effectivement, le touriste fait part de son désir d'une promenade en hélicoptère pour les jours suivants. Il voudrait effectuer, en compagnie d'un ami et d'un garçonnet, une promenade avec pique-nique dans la montagne. Emile propose d'effectuer cette sortie le mercredi, mais le touriste explique que, le mercredi, il doit déjà prendre le chemin du retour. On se met donc d'accord pour le lendemain mardi, à midi pile. Coût de l'opération : 9 000 francs. Cette rentrée d'argent n'est pas négligeable pour la compagnie qui emploie Emile. Le lendemain, Emile pose son appareil sur le terrain. Il est un peu en retard au rendez-vous car il a, juste avant, une leçon de pilotage. L'élève remercie et se dirige vers les bureaux de la compagnie. Le client barbu est là, accompagné de deux autres hommes. Pas d'enfant en vue. L'hôtesse d'accueil n'est pas là ni Marc N., le directeur de la société. Emile est un peu contrarié : ces deux adultes, au lieu de l?enfant annoncé, représentent un poids qu?il n?avait pas prévu. Mais il hésite à renoncer aux 9 000 francs. Les passagers s?installent. Ils sont équipés, eux aussi, pour ne pas prendre de coups de soleil, de lunettes noires, de casquettes, et chacun transporte un petit sac prévu, en principe, pour contenir un camescope. Emile reçoit 4 500 francs d?arrhes, mais il est un peu inquiet de ce changement de programme. Il aimerait bien en référer au directeur de la société avant de prendre son vol. (à suivre...)