On ne peut manquer de constater une certaine antinomie entre ceux qui prônent à ciel ouvert les droits de la défense, au demeurant consacrés par la Constitution et les lois en vigueur, et ceux qui sont chargés de leur application. La question n'est pas sans intérêt car la Constitution et les lois garantissent les droits de la défense. Mieux encore, les responsables au plus haut niveau du pays, président de la République, Premier ministre, ministre de la Justice, réaffirment la nécessité de protéger les droits des citoyens, des justiciables. Autant l'Algérie multiplie les institutions devant garantir les libertés individuelles et collectives, autant ces libertés font l'objet de restrictions, voire de violations. Face, en effet, à cette position fondamentale de la République, d'autres tentent de réduire les droits de la défense et de bâillonner leurs gardiens vigilants : les avocats. Il faut en effet rappeler que la loi en vigueur confie aux avocats un rôle important : œuvrer pour le respect et la garantie des droits de la défense. La loi ajoute, et c'est d'un intérêt certain, que les avocats concourent “à l'œuvre de justice, au respect du principe de la primauté du droit et à la garantie de la défense des droits et libertés du citoyen”. On ne peut manquer de constater une certaine antinomie entre ceux qui prônent à ciel ouvert les droits de la défense, au demeurant consacrés par la Constitution et les lois en vigueur, et ceux qui sont chargés de leur application qui, épisodiquement, dressent des obstacles aux avocats, gardiens vigilants des droits de la défense et sans lesquels il n'y a pas de justice crédible. Il en résulte que si ces magistrats et autres personnels de la justice continuent de dresser aux avocats des obstacles dans l'exercice de leur profession, violant ainsi délibérément les droits de la défense, sans susciter des réactions de la chancellerie ou du premier magistrat du pays, on pourrait conclure, hélas, que l'affirmation en Algérie des droits de la défense ne serait qu'une stratégie et non un objectif. Il faut espérer que cette hypothèse ne se réalisera pas, car personne ne peut, aujourd'hui, pratiquer une telle politique sans réaction nationale, voire internationale. En revanche, l'absence de réponse aux questions que se posent les avocats, les justiciables et citoyens, risque d'accréditer cette perception des droits de la défense dont on peut dire aujourd'hui qu'ils font l'objet de restriction de la part d'irresponsables, car ils n'ont pas compris que les droits de la défense sont sacrés. Certains de ces magistrats croient qu'ils sont les seuls à rendre la justice, oubliant le principe sacro-saint de la règle du contradictoire, les conduisant ainsi à penser que les avocats ne seraient admis à plaider que pour la forme. Ce comportement se traduit dans leur attitude à l'audience en montrant ostensiblement qu'ils ne suivent pas la plaidoirie de l'avocat ou qu'ils n'en tiennent pas compte, alors même que la loi leur interdit d'afficher leurs sentiments. L'indépendance de la justice ne leur confère pas une irresponsabilité, ni les autorise à mépriser les droits de la défense. Les obstacles dressés à l'exercice de la profession sont nombreux et se répercutent sur le fonctionnement de la justice et l'application des lois. Le président de la République n'a-t-il pas solennellement déclaré que “le juge n'est ni un justicier, ni un bourreau. Son rôle est d'assurer le respect des droits tels que reconnus par la loi”. C'est tout simplement ce que demandent les avocats, Monsieur le Président. C'est pourquoi, l'Etat, tenu à tout moment d'assurer qu'il s'oriente vers un véritable Etat de droit, doit garantir les droits fondamentaux de l'individu tels qu'ils sont proclamés par la Constitution, les lois et la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Le premier magistrat du pays n'a-t-il pas affirmé, alors qu'il s'adressait aux magistrats en 1999 à l'occasion de l'ouverture de la session ordinaire du Conseil supérieur de la magistrature, que “l'Etat de droit est une pratique quotidienne qui marque la qualité des liens entre les représentants de l'Etat et les citoyens…”. Chacun sait aussi, y compris les magistrats, que nul n'est à l'abri d'être déférer devant la justice et qu'il est alors préférable d'avoir affaire à une justice capable de garantir la protection des individus contre les abus du pouvoir, y compris celui exercé par les juges. Si nous interrogeons l'histoire, on trouve, hélas, périodiquement, que des actions se sont manifestées pour rogner les droits de la défense. Il en est ainsi de la réintroduction du délit d'audience en 1993, sous le Premier ministre Belaïd Abdesslam. De quoi s'agit-il ? Le délit d'audience permet au juge qui préside l'audience de sanctionner immédiatement l'avocat en cas de manquement aux obligations que lui impose son serment. Il est loisible de constater que l'avocat ainsi sanctionné ne bénéficie ni d'une instruction ni d'une quelconque garantie pour échapper à la sanction. On rappellera qu'en vertu de ce délit d'audience institué en 1993, plusieurs avocats avaient été suspendus sur le champ. Les auteurs de ce texte, un mépris envers la défense, n'entendaient pas que les avocats puissent assurer convenablement leur mission de défense. Ils profitèrent d'une conjoncture qui leur paraissait combien favorable, la période du terrorisme, pour tenter, mais en vain, de bâillonner la défense. Ce texte a été aussitôt appliqué, puisque des avocats ont été sanctionnés et suspendus immédiatement, sans même leur donner le temps de se défendre. Fort heureusement, d'autres magistrats ne l'ont pas entendu ainsi, puisque la cour d'Alger avait annulé les suspensions. Le porte-parole du gouvernement de l'époque justifiait, notamment, le recours au délit d'audience en affirmant que cette procédure était en vigueur dans d'autres pays. Autrement dit, il est question ici de rechercher les restrictions en vigueur dans d'autres pays, alors que la tendance dominante à travers le monde, c'est le renforcement des droits de la défense et des droits de l'Homme. En tout état de cause, cette affirmation était dénuée de tout fondement. Aussitôt, les avocats ont réagi, comme un seul homme et ont obtenu que le texte instituant le délit d'audience soit rapporté en attendant son abrogation. Finalement, le délit d'audience, gelé depuis 1993, a été abrogé en février 1995. En 2001, le ministre de la Justice a tenté de soumettre au gouvernement, puis à l'Assemblée nationale, un projet modifiant et complétant la loi portant organisation de la profession d'avocat, un projet modifiant et complétant la loi portant organisation de la profession d'avocat, projet qui comportait des aspects négatifs et des atteintes aux droits de la défense. Les auteurs de ce projet, sans peut-être mesurer les conséquences de leurs propositions, entendaient instaurer auprès de chaque barreau un gendarme, en la personne du procureur général, faisant ainsi fi des principes fondamentaux qui régissent la profession d'avocat. Face à la réaction des barreaux d'Algérie, ce projet a été gelé. Les avocats avaient fait savoir que légitimement, ils s'attendaient à un renforcement des droits de la défense et à un appel solennel pour l'application rigoureuse des lois, sachant qu'il existe des personnes capables de les enfreindre, consciemment ou inconsciemment. Lorsque les avocats exigent le respect des droits de la défense, comme ils ont par le passé revendiqué l'indépendance des juges, ils ne visent pas tous les juges, car la plupart honorent notre justice, leurs audiences sont sereines et les droits des justiciables et des avocats sont respectés. Juges et avocats exercent ensemble, chacun ayant ses propres prérogatives, doivent renouer avec les traditions de concertation afin que la justice que l'Algérien attend soit celle qui arrive à convaincre par ses jugements et celle, précise le premier magistrat du pays, “qui fait patienter sereinement pendant son cours, celle qui apaise, parce qu'acceptée lorsqu'elle a dit son mot”. T. B. (*) Avocat et ancien bâtonnier