Phyllis March est une vieille fille obstinée. Anglaise, têtue et incurable aussi. Elle croit dur comme fer à la bonne volonté, à l?amour d?autrui. Et en vertu de ces deux théories, elle entreprend le sauvetage de n?importe qui. Son frère, cinquante ans, chômeur professionnel et fainéant par conviction, vit sur son dos depuis presque trente ans. Mais elle demeure persuadée qu?il changera un jour. A soixante-trois ans, Phyllis consacre également sa vie au recyclage des anciens détenus. Sa vie, son argent et une partie de sa maison. Il y a donc, ce soir-là, 18 décembre 1964, deux anciens prisonniers chez elle. Ils occupent la chambre du fond, elle leur a aménagé une cuisine, ils ont une entrée individuelle et vont et viennent comme ils l?entendent depuis quinze jours. Jeffrey est un libéré sur parole après huit ans de peine pour vols divers. C?est un petit homme calme et insignifiant. Ernie est aussi libéré sur parole, après cinq ans pour tentative de hold-up ; c?est un colosse au cerveau parfois chancelant. Ce soir, Phyllis March rentre chez elle avec une bonne nouvelle. Elle a trouvé du travail pour Ernie, c?est une victoire. Elle est en train de retirer son imperméable quand un hurlement épouvantable la fait sursauter. C?est un cri de bête, inhumain. Phyllis n?a même pas le temps de courir en direction de la chambre du fond. La porte s?ouvre avec violence et Jeffrey apparaît couvert de sang, le visage tordu par la souffrance. Il s?écroule presque aussitôt dans le couloir et Ernie, le colosse, l?enjambe comme si de rien n?était. Il tient un revolver dans sa main droite. De la gauche, il retire un couteau du dos de sa victime, et s?adresse à Phyllis : «Bougez pas, hein ? Bougez pas !» Phyllis ne bouge pas. Les yeux écarquillés d?horreur, son imperméable mouillé à la main, elle observe la scène en réfléchissant à toute vitesse. Jeffrey est mort, sans aucun doute. Ils ont dû se disputer ou se battre, peu importe. Maintenant ce qui compte, c?est Ernie. Il est fou. Jusqu?à présent, le psychiatre qui le suit depuis son internement a toujours prétendu qu?il n?aurait pas de crise de violence meurtrière? Beau résultat. «Du calme, se dit Phyllis, du calme surtout, ne pas bouger, ne pas crier, attendre qu?il parle lui-même.» C?est alors qu?une silhouette apparaît dans le couloir, sortant de la salle de bains, presque à hauteur d?Ernie. C?est Joss, le frère de Phyllis. Il découvre la scène et se met à hurler : «Qu?est-ce qui se passe ? Non mais ça ne va pas ? Mais il l?a tué ! Phyllis, cette espèce de fou l?a tué !» Phyllis serre les dents. «L?imbécile, se dit-elle, l?épouvantable crétin, il ne pouvait pas se taire ! Il a compris maintenant, mais trop tard. Ernie avance sur lui, le revolver pointé. Que faire, mon Dieu, que faire ?» Il y a un petit bruit bizarre? Phyllis ferme les yeux si fort qu?elle en a mal, puis les rouvre. Le revolver s?est enrayé et Ernie regarde l?arme avec stupéfaction. Il faut en profiter. Il faut rester calme devant ce fou furieux, ce cadavre ensanglanté et son idiot de frère qui ne bouge plus maintenant alors qu?il devrait bondir et désarmer l?agresseur. (à suivre...)