Souvenirs n Les mauvais jours sont encore vivaces. Malgré le «oui» affiché, la rue réclame tout bas justice. Il est un peu plus de 10 h, en cette veille de week-end. Les rues de La Casbah vivent l'animation habituelle. Les habitants semblent plus préoccupés par leur train-train quotidien que par la politique. Les écoliers parlent de la rentrée, des fournitures et des manuels scolaires. Des ouvriers enlèvent des gravats laissés par les entrepreneurs chargés de la restauration des maisons affectées par les épreuves du temps. Et, fait étonnant, les groupes de jeunes, qui occupaient autrefois le coin des rues, ne sont plus là. Durant les années de terrorisme, ils étaient postés en groupes, scrutant tout étranger au quartier, allant même jusqu?à s?informer sur son identité, d?où il vient et chez qui il se rend. Une citoyenne, qui n?a jamais quitté son domicile durant toute la décennie, se rappelle les horreurs, la menace et l?insécurité qui régnaient, il n?y a pas si longtemps, à La Casbah. Pourtant, elle a vécu la guerre d?Algérie et la bataille d?Alger. «Il ne faisait pas bon vivre, dans les années 1990, à La Casbah. La journée, pour sortir du quartier nous étions épiés, interceptés et interrogés sur nos allées et venues. Les jeunes filles étaient agressées, car elles ne portaient pas le hidjab, même les plus âgées qui portaient le haïk n?étaient pas épargnées. Les jeunes, qui refusaient de rejoindre les terroristes, étaient menacés. Les mères et les pères de famille faisaient également l?objet de pression. Beaucoup ont préféré envoyé ailleurs leurs enfants de peur qu?on s?en prenne à eux des deux côtés, car ils n?échappaient pas, non plus, aux descentes policières. Les pauvres étaient pris entre deux feux», raconte-t-elle. Plus loin, une vieille dame, n?ayant ni victime ni terroriste au sein de sa famille, fait le récit des meurtres dont elle a été indirectement témoin. Elle se souvient : «Durant la nuit, j?entendais des personnes circuler dans le quartier. Des hommes passaient, un quart d?heure plus tard des coups de feu nourris se faisaient entendre, puis ils repassaient en traînant des sacs noirs qu?ils déposaient plus loin. Le lendemain, les voisins faisaient des découvertes macabres. Des corps mutilés, décapités, des têtes exhibées dans les rues en guise d?avertissement à tous ceux qui briseraient la loi du silence et se hasarderaient à parler.» Interrogés sur l?identité de ces personnes, les habitants de La Casbah répondent : «Ce sont des terroristes et parmi eux des voisins.» C?est sur ces propos que la journée s?achève à La Casbah, vers 18 h, au moment où les cafés maures et les rues sont bondés, des femmes entrent ou sortent de ce quartier et des enfants jouent dans la rue en cette journée d?été.