Image n Allongé sur son lit d?hôpital, Mustapha a les yeux grands ouverts et on a peine à croire qu'ils sont éteints peut-être à jamais. Autour de lui, sa mère, ses frères et ses amis du quartier, venus le voir, sont pleins de sollicitude. Mais lui semble perdu, indifférent, le regard dans le vide, dans le noir. «J?ai tout perdu, mes yeux, mon boulot et ma femme. Je n?ai plus d?avenir, je n?ai plus d?avenir !», marmonne-t-il. Il veut pleurer, mais n?ose pas le faire, ils sont tous là. Depuis son hospitalisation, il y a 15 jours, le jeune homme âgé de 27 ans ne mange plus, ne dort plus, refuse de parler à sa famille, pense à sa nouvelle situation. Il est angoissé, il a mal. «J?ai perdu mes yeux, je ne vois rien, tout est noir devant moi, comment voulez-vous que je ne m?énerve pas, que je ne stresse pas, je n?ai plus rien !» Assise au bord du minuscule lit, lui tenant tendrement la main, sa mère murmure pour que son enfant n?entende pas : «Son père ne vient jamais, il ne supporte pas de le voir dans cet état ! Le jour où il a su qu?il avait perdu la vue, il n?a pas arrêté de se cogner la tête contre le mur.» Mustapha se souviendra toute sa vie de la dernière soirée, des derniers regards, des dernières personnes qu?il a vues. De la danse, du mariage familial auquel il a assisté, des rires. Le lendemain matin, il se lève les yeux gonflés, il a mal à la tête et n?arrête pas de vomir. Emmené au centre sanitaire de Bourouba, près de Bachdjarrah, à Alger, il sera renvoyé en urgence à l?hôpital Parnet, service ophtalmologie. Un traitement lui sera prescrit pour une durée de 15 jours. «Deux injections toutes les deux heures pour tuer le microbe, mais une fois le mal parti, il découvre qu?il ne voit plus», marmonne sa mère avant d?ajouter : «Il a vu ce matin les médecins, ils l?ont ausculté et ne lui ont rien dit, il les attendait impatiemment avec beaucoup d?espoir, mais toujours rien, c?est ce qui l?énerve», explique sa mère. «Bien sûr ! Ils parlaient au-dessus de ma tête et je ne comprenais rien, je ne sais même pas ce que j?ai et si je peux recouvrer la vue ! il y a de quoi», annonce Mustapha. A côté du lit, sur une tablette métallique, des sachets bourrés de nourriture, des gâteaux et des fruits, tout est intact, Mustapha n?a presque touché à rien, tout ce qu?il fait c?est prendre ses médicaments, de nombreuses boîtes. «Je n?ai pas le choix, je m?accroche à Dieu, c?est la vie», confie-t-il le c?ur serré. Ce qu'il voudrait savoir, en revanche, et c'est son droit ainsi que celui de sa famille, c'est s'il est victime de la fatalité ou d'une erreur de diagnostic.