Coqueluche Djillali est un très beau garçon. Il a à peine vingt-cinq ans. Il a le contact facile et tout son entourage l?aime bien, surtout les femmes qui lui trouvent un charme fou. A Oran, tout le monde sait qu?il est de Sidi Bel Abbes, sans plus. Il n?a jamais dit à personne qu?il est un enfant de l?assistance publique et qu?il est de parents inconnus. Il s?est toujours très bien débrouillé et n?a jamais manqué d?argent. Son élégance naturelle et son goût raffiné en ont fait la coqueluche de ces filles de la nuit qui recherchent sa compagnie et qui se précipitent vers lui quand il entre dans un de ces cabarets qu?il fréquente assidûment et où il se montre tellement généreux avec toutes ces entraîneuses avec lesquelles il se sent d?étranges affinités. Un jour, ou plutôt une soirée, il se sentit attiré comme un aimant par une nouvelle. C?est vrai qu?elle n?était pas de première jeunesse, mais elle était d?une beauté à couper le souffle. Contrairement aux autres filles du cabaret, elle était très réservée, presque timide. Un léger strabisme et un regard toujours mélancolique lui donnaient une folle séduction. Djillali tomba sous le charme. Mais lui qui était habituellement si entreprenant se sentit une timidité d?enfant à côté de cette belle femme. Il était impressionné. Aussi, se contentait-il, chaque soir, de lui offrir à boire et de discuter un peu avec elle. Elle aussi se sentait irrésistiblement attirée par ce très beau garçon. Aussi, prirent-ils l?habitude de se retrouver à la même table, à la même heure, chaque soir. Ils n?osaient pas, l?un et l?autre, faire une avance sérieuse. Dans ce milieu interlope où les relations sexuelles étaient perçues comme quelque chose de très naturel, ils redoutaient l?un et l?autre d?en arriver à se retrouver dans le même lit. Les deux avaient pourtant l?expérience de ces choses, mais une pudeur infinie empreignait leurs moindres échanges, au point que même certaines chansons de raï, plutôt osées, les mettaient presque dans la gêne. Un soir pourtant, l?alcool aidant, ils en vinrent à une certaine intimité et se prirent même la main. Ils avaient convenu, sans rien se dire, que cette nuit, ils se retrouveraient dans la même chambre. Echauffé par les nombreux verres qu?il avait avalés, Djillali se laissa aller à des confidences sur sa vie et sur son terrible secret. La femme, très intéressée, ne cessait de lui poser des questions et lui confia qu?elle avait vécu des moments très heureux à Sidi Bel Abbes. Djillali continuait à lui donner des détails sur son passé lorsqu?il vit que la femme avait blêmi. Elle avait retiré sa main de la sienne. Il croyait qu?elle avait un malaise. Mais elle continua à lui poser des questions de plus en plus précises. Puis, elle se leva et s?enfuit précipitamment. Il ne la revit plus jamais. Mais il apprit par la suite, de la bouche d?une fille qui occupait la même chambre, que la femme qu?il avait connue avait compris qu?elle était sa mère. Elle avait quinze ans quand elle l?avait mis au monde sous X, à l?hôpital de Sidi Bel Abbes. Elle avait disparu en le mettant au monde. Elle s?éclipsa encore une fois, après cette rencontre qui aurait pu aboutir à une monstrueuse liaison, Djillali disparut à son tour et ne donna plus signe de vie. On dit qu?il vit maintenant dans un pays lointain.