Paysage n Dans ces hautes montagnes, les Egypans et les satyres des Anciens ont fait place à des esprits subtils, les djinns et les éfrits, et comme autrefois, ils remplissent la montagne de leur présence. Dans ces villages perdus dans la montagne, on croit encore aux légendes d?antan : les ogres, les sorciers et les fantômes font partie de la réalité et beaucoup de gens prétendent en avoir vu. Il s?agit, en fait, de restes de l?ancienne société où la modernité n?ayant pas pénétré avec force, le sacré a gardé une place prépondérante. Il faut dire que ces montagnes sont imposantes et qu?une fois qu?on y pénètre, on est pris par une sorte de vertige : non pas seulement à cause de l?altitude, mais aussi de l?atmosphère de mystère qui s?y dégage. Un bruissement de feuilles, le cri d?un oiseau ou la fuite éperdue d?un lapin font battre fortement le c?ur et l?angoisse est encore plus forte quand le silence est total : on a alors l?impression d?une présence? Certains croient même entendre des voix les appeler : ils se retournent et ne voient rien ! Ils sont alors pris de peur et pressent le pas, ne pensant qu?à quitter les lieux, avec l?impression d?avoir dérangé la quiétude de la montagne et de la multitude invisible qui l?habite? Dans l?Antiquité déjà, les montagnes algériennes et maghrébines inspiraient la crainte et imposaient le respect. Dans le passage de son Histoire naturelle consacrée à l?Afrique du Nord, un écrivain latin du Ier siècle de l?ère chrétienne évoque ainsi les montagnes de l?Atlas, mêlant à la description physique les légendes et les mythes rapportés par les auteurs antérieurs et les autochtones : «Du milieu des sables, (la montagne) s?élève vers le ciel, à ce qu?on rapporte, abrupte et rocailleuse du côté qui regarde vers le littoral de l?océan auquel elle a donné son nom, mais en même temps ombreuse et boisée, arrosée par le jaillissement des sources du côté qui regarde l?Afrique. Là, à l?abri de ses couverts, toutes les espèces de fruits proviennent en telle abondance que les désirs sont toujours comblés. Aucun des habitants n?est visible pendant la journée ; le silence universel exprime un autre effroi que celui des solitudes : une crainte religieuse muette envahit l?âme lors de l?approche, à quoi s?ajoute l?effroi que donne ce sommet dressé au-dessus des nuages et voisin de l?orbite lunaire. Mais la même montagne, de nuit, scintille de mille feux, s?emplit des ébats folâtres des Egypans et des satyres et retentit du son des flûtes et du pipeau, du fracas des tambourins et des cymbales.» (Livre V, 6-7) Aujourd?hui, les Egypans et les satyres ont fait place à des esprits plus subtils, les djinns et les éfrits, et comme autrefois, ils remplissent la montagne de leur présence. Présence le plus souvent sentie seulement, mais parfois également manifestée par des cris étouffés ou même des apparitions sous les formes les plus diverses : animal effarouché ou hostile, personnage inquiétant avec lequel on échange quelques propos, puis qui disparaît au moment où on s?y attend le moins? Il y a aussi les revenants qui, dit-on, rompent de temps à autre le mince voile qui sépare leur monde du nôtre. Ils font alors une intrusion dans la réalité et se mêlent aux hommes, le temps de leur transmettre un message? C?est une histoire de revenants que nous allons justement rapporter. (à suivre...)