Sacré A Annaba, on ne refuse jamais une invitation à Ras El-Hamra. Les meïdas que l?on a agrémentées de larges plateaux de cuivre ciselé et sur lesquelles on a soigneusement disposé des napperons brodés et des couverts à café, trônent maintenant au beau milieu de la plate-forme de roche. Tout autour, des matelas ont été disposés et on se serait cru dans une salle des fêtes à ciel ouvert, dans un décor magnifique que balaie la brise marine et dont la toile de fond est le bleu azur de la crique de Ras El-Hamra. La pléiade de jeunes femmes qui s?affaire dans cet espace de rêve est ici depuis la matinée. Il a fallu débroussailler certains endroits et laver à grande eau l?intérieur de la grotte où les hommes ont entreposé la literie et les préparatifs de la ziara. Une excavation naturelle de quelque cinq mètres de profondeur et dont la voûte est plutôt basse pour une personne de taille moyenne. Qu?à cela ne tienne ! Personne, ici, ne se formalisera du peu de confort qu?offre la grotte de Gadad D?hor, allusion faite à l?exiguïté des lieux, pourvu qu?on ait la bénédiction des saints qui y ont élu domicile, particulièrement en ce vendredi. Les familles et les proches, tous invités depuis plusieurs semaines, commencent à arriver vers 15 heures. La plupart se sont acquittés de la prière du D?hor avant de se regrouper dans l?un ou l?autre des quartiers de la ville. A Annaba, on ne refuse jamais une invitation à Ras El-Hamra et chacun organise, au moins une fois dans sa vie, une rencontre de ce genre. La ziara à Aïn Bint Soltane est un acte de piété que tout le monde dans la région, particulièrement les enfants de la ville, assume avec sérénité et sincérité depuis des siècles. Signe des temps, on n?égorge plus le veau ou le mouton pour le couscous comme on le faisait autrefois pour la zerda. Les vieux Bônois nous racontent volontiers ces après-midi inoubliables qui s?organisaient en cet endroit. Le rituel voulait que l?on saigne un animal sur le rocher et qu?on le dépèce sur place avant de le cuire et de le servir aux convives. Autre détail : n?étaient pas admis les impurs. Une femme indisposée ou un homme en état d?ébriété n?étaient pas les bienvenus à cette fête religieuse, où l?on chantait des louanges à Dieu et au Prophète Mohamed. Les soirées se prolongeaient tard dans la nuit dans une ambiance conviviale, notamment quand le maître de céans avait les moyens de louer les services des troupes locales Aïssaoua ou Qadria. Les vieux vous diront aussi que les moyens étaient disponibles. Se permettre d?inviter une centaine de personnes était à la portée de beaucoup en ce temps, surtout qu?à l?époque, les gens s?entraidaient, comme en toute circonstance. Aujourd?hui, on se contentera de servir du café et des gâteaux aux convives. Les femmes se font belles comme pour n?importe quelle autre fête. Elles sont là pour invoquer Dieu et pour honorer les saints de la ville, comme le veut la tradition locale. Ceux-ci veillent sur tout le monde et sont certainement heureux que la ziara de Ras El-Hamra soit ainsi observée, dans la bonne humeur et surtout dans un cadre aussi beau.