Dans ce bidonville qui abrite 200 familles, le mois sacré est perçu comme une période où chacun doit se consacrer davantage à son voisin… Nous ne sommes plus qu'à une demi-heure du f'tour et une agitation particulière s'empare de la petite communauté de Bouzaâroura. Le bidonville, jusque-là somnolent, s'anime. Des hommes, qu'on devine à peine réveillés d'une sieste de circonstance, s'étirent devant leur pas de porte et viennent se joindre à la marmaille dehors, laissant leurs mamans se consacrer à la préparation du repas de ce cinquième jour de ramadan. Bouzaâroura, le quartier le plus déshérité de la commune d'El Bouni, noie sa misère dans la communion en ce mois de piété. Ici, il n'y a pas de vitrines, pas d'étalages de quelque produit que ce soit. Les achats se font dans la plus grande discrétion par chacune des 200 familles qui peuplent les lieux. “Ceci ne veut pas dire que l'on a honte du contenu de son couffin. Pas du tout. La tradition recommande ces gestes d'humilité, juste par respect pour le voisin. Pour ne pas gêner ceux qui n'ont pas les mêmes moyens que soi”, explique Djamel, ce jeune père de famille, marin pêcheur de son état, qui occupe une des baraques de la partie sud du bidonville, presque en bordure de la RN16. Djamel est né à Bouzaâroura et il y a grandi. Ses parents habitent aussi le quartier depuis 1967. Ce sont eux qui lui ont transmis cette notion honorable du voisinage qui veut que l'on s'entraide en n'importe quelle circonstance. “Durant ce mois, la solidarité entre habitants se renforce davantage. Il est inconcevable que l'un d'entre nous n'ait pas de quoi rompre le jeûne. Mieux encore, nous nous faisons un devoir de faire goûter nos meilleurs plats à notre entourage”, ajoute-t-il avant de renchérir : “Figurez-vous que ce qui vient du voisin a toujours meilleur goût !” Les odeurs qui se dégagent de chacune des habitations sont plutôt alléchantes, elles s'installent au point d'envahir tout le quartier. Notre interlocuteur nous propose gentiment de rester pour le f'tour. Il insiste tellement que nous ne pouvons refuser. Notre hôte, aidé par son jeune frère, installe rapidement meïda et tabourets, et met des couverts autour d'un plat de chorba. C'est sur ces entrefaites que la voix du muezzin annonce la rupture du jeûne. Tous les hommes, jeunes et vieux, regagnent leur domicile un peu précipitamment, laissant la rue aux petits qui mangeront plus tard. Le repas qui nous est offert se compose, outre l'incontournable chorba frik, d'un plat de dolma tout aussi bônois que la bouraka, qui a été servie en premier, ainsi que d'une salade variée et, bien sûr, d'une bouteille de gazouze. On ne s'éternise pas autour de ce délicieux repas, car notre hôte et son jeune frère sont de toute évidence pressés de se rendre à la mosquée pour la prière des taraouih. À l'extérieur, l'animation se fait plus grande au fur et à mesure que la nuit enveloppe le bidonville. Certains habitants se dirigent vers les taxis clandestins et les microbus qui attendent de charger les passagers à destination de Annaba. D'autres empruntent la piste qui mène vers la cité des Dalles, qui est un peu le centre-ville d'El Bouni, alors que la plupart s'installe dans l'une ou l'autre des baraques improvisées en cafés pour y rencontrer des amis et se défier dans une partie de dominos ou une rounda. Nous apprenons par un autre habitant que les femmes ne sortent jamais durant le ramadan si ce n'est à la fin du mois sacré pour les achats des vêtements de l'Aïd. Elles ne sont toutefois pas coupées du monde grâce à la télévision et la diffusion des programmes de circonstance qu'elles regardent généralement avec leurs voisines autour d'un plateau de gâteaux et de zlabia. Ramadan à Bouzaâroura, c'est encore le ramadan d'antan. A. Allia