Résumé de la 3e partie n Ayant entendu parler de la beauté et des talents de Belle-Heureuse, le gouverneur de Koufa décida de l?enlever pour l?offrir au khalife. Une mission dont il chargea une vieille femme. Le matin, à la première heure, elle se vêtit de bure et se passa au cou un énorme chapelet aux grains par milliers, attacha une gourde à sa ceinture, prit à la main une béquille et se dirigea à pas fatigués vers la maison de Printemps en s'arrêtant de temps à autre pour soupirer avec componction : «Louange à Allah ! Il n'y a d'autre Dieu qu'Allah ! Il n'y a de recours qu'en Allah ! Allah est le plus grand !» Et elle ne cessa de se comporter de la sorte tout le long du chemin, à la grande édification des passants, jusqu'à ce qu'elle fût arrivée à la porte de la demeure de Printemps. Elle heurta à la porte en disant : «Allah est généreux ! O Donateur ! O Bienfaiteur !» Alors vint lui ouvrir le portier, qui était un vieillard respectable, serviteur ancien de Printemps. Il vit la vieille dévote et, l'ayant examinée, il ne lui trouva pas une figure empreinte de piété, au contraire ! Et de son côté, il déplut fort à la vieille, qui lui jeta un regard de travers. Et le portier sentit d'instinct ce regard, et d'instinct, pour conjurer le mauvais ?il, il formula mentalement : «Mes cinq doigts gauches dans ton ?il droit, et mes cinq autres doigts dans ton ?il gauche !» Puis, à haute voix, il lui demanda : «Que veux-tu, ma vieille tante ?» Elle répondit : «Je suis une pauvre vieille dont le seul souci est la prière. Or, comme je vois que l'heure de la prière approche, je voudrais entrer dans cette demeure pour faire mes dévotions en ce jour saint !» Le bon portier se rebiffa et lui dit d'un ton brusque : «Marche ! ce n'est point ici une mosquée ni un oratoire ; car c'est la maison du marchand Printemps et de son fils Bel-Heureux !» La vieille répondit : «Je le sais bien ! Mais y a-t-il mosquée ou oratoire plus digne de la prière que la demeure bénie de Printemps et de son fils Bel-Heureux ? Sache aussi ô toi, portier à la figure sèche, que je suis une femme connue à Damas, dans le palais de l'émir des Croyants. Et j'en suis partie pour visiter les Lieux saints et prier dans tous les endroits dignes de vénération.» Mais le portier répondit : «Je veux bien que tu sois une dévote, mais ce n'est point une raison pour entrer ici. Continue ta marche en l'état de ta voie !» Mais la vieille tint bon et insista si longtemps que le bruit de sa voix parvint aux oreilles de Bel-Heureux, qui sortit pour se rendre compte de la cause de cette altercation et entendit la vieille qui disait au portier : «Comment peut-on empêcher une femme de ma condition d'entrer dans la maison de Bel-Heureux fils de Printemps, alors que les portes les plus fermées des émirs et des grands me sont toujours larges ouvertes ?» En entendant ces paroles, Bel-Heureux sourit, selon son habitude, et pria la vieille d'entrer. Alors la vieille le suivit et arriva avec lui dans l'appartement de Belle-Heureuse. Elle lui souhaita la paix de la façon la plus sentie, et, d'un coup d'?il, elle fut stupéfaite de sa beauté. Lorsque Belle-Heureuse vit entrer la sainte vieille, elle se hâta de se lever en son honneur et lui rendit son salam avec respect et lui dit : «Que ta venue nous soit de bon augure, ma bonne mère ! Daigne te reposer.» Mais elle répondit : «L'heure de la prière vient d'être annoncée, ma fille. Laisse-moi prier !» Et elle se tourna aussitôt dans la direction de La Mecque, et se mit à genoux dans l'attitude de la prière. Et elle resta ainsi jusqu'au soir, sans bouger, et personne n'osait la déranger dans une fonction si auguste. Et d'ailleurs elle-même était tellement enfoncée dans l'extase qu'elle ne prêtait aucune attention à ce qui se passait autour d'elle. (à suivre...)