Sa tombe ne porte pas de nom et personne ne vient jamais la visiter. Mais le mort 2 108 du cimetière de Perepetchino, près de Moscou, adresse un message au monde : les hommes en Russie meurent de façon brutale. La sépulture ne dispose que d'une petite plaque sur laquelle sont inscrits un numéro, le sexe de la personne décédée, la date de l'enterrement. C'est l'une des 17 500 tombes renfermant des corps d'inconnus retrouvés sans vie au cours des cinq dernières années dans la capitale russe, souvent sous la neige. Plus des deux tiers sont des hommes. «La plupart sont des ivrognes ou des travailleurs immigrés des ex-pays de l'URSS tués par le froid», assure un des responsables du cimetière. Les quelque 3 000 corps non identifiés enterrés chaque année à Perepetchino ne sont que la partie visible d'un problème dont les conséquences risquent de s'avérer désastreuses pour la Russie, aux prises avec une grave crise démographique. Comme le rappelait la Banque mondiale dans une étude publiée au début du mois, les hommes en Russie «meurent jeunes et de façon brutale», en raison des maladies cardio-vasculaires, de l'alcoolisme et des accidents de la route. Peuplée de 143 millions de personnes, la Russie a perdu six millions d'habitants depuis la chute de l'Union soviétique et continue de voir sa population décroître. Le taux de fertilité est passé de 2 à moins de 1,3 depuis le début des années 1990, et l'espérance de vie des hommes ne dépasse pas 58 ans, comparé à 72 ans pour les femmes. Un chercheur au ministère de la Santé, souligne que l'alcool est lié à près du tiers des décès en Russie. Il entraîne accidents de voiture, accidents du travail ou morts de froid. Et des empoisonnements qui font, à eux seuls, 40 000 morts pas an. «La vodka est notre malédiction», estime aussi un ambulancier de l'hôpital numéro 1 de Moscou.