Résumé de la 9e partie n Les spécialistes de la mythologie distinguent plusieurs types de cyclopes : les cyclopes ouraniens, les cyclopes bâtisseurs, les cyclopes pasteurs? C?est à la génération des cyclopes pasteurs qu?appartient le «cyclope algérien», du moins selon celui évoqué dans le récit kabyle que nous avons rapporté. Signalons d?abord que quatre récits analogues ont été relevés au Maghreb, plus précisément au Maroc : un de ces récits, recueillis dans le sud de ce pays, est en arabe, les trois autres en berbère. Les héros des aventures sont soit un saint, en l?occurrence Sidi Hamed ou Moussa, soit un poète qui affronte le monstre et arrive à le vaincre en lui crevant son unique ?il. Dans tous les récits, le personnage monstrueux habite dans une grotte qu?il obstrue au moyen d?un tronc d?arbre ou d?un rocher. Autre point commun : les cyclopes maghrébins, comme celui d?Homère, sont bergers? Tous ces détails se retrouvent dans la version algérienne qui, comme souligné par l?ethnologue française Lacoste-Dujardin qui a travaillé sur le mythe, se rapproche le plus du récit d?Homère. On retrouve même la ruse d?utiliser les moutons pour quitter l?antre du monstre : se glisser sous le ventre des moutons pour Ulysse et ses compagnons ; revêtir la toison d?un mouton qu?il a égorgé pour le héros algérien. Cependant, on relève quelques différences entre les deux récits. Le héros du récit algérien n?est pas, comme chez Homère, un rude guerrier rompu aux combats (ni un saint porteur de baraka, comme dans les versions marocaines), mais un jeune homme apparemment inexpérimenté, auquel la peur donne des idées. Le héros d?Homère, Ulysse, est venu par mer, lieu par excellence des aventures ; le héros algérien, lui, évolue dans un espace exclusivement terrestre, qui ne manque cependant pas de mystère et de danger. Ulysse et ses compagnons tombent par hasard sur l?antre du cyclope ; dans le récit algérien, le héros et ses compagnons le rencontrent dans la forêt. Le cyclope, respectant les règles de l?hospitalité, les invite chez lui, où, hospitalité oblige encore, il leur offre à dîner. Mais il transgresse au moins une fois l?hospitalité en ne mangeant pas avec ses hôtes. Et ces derniers, en acceptant de manger seuls, s?exposent au risque? d?être mangés : l?anthropophagie du cyclope, écrit Lacoste-Dujardin, est la contrepartie de l?acceptation unilatérale de nourriture par les hommes. Autre différence avec le procédé utilisé pour vaincre le cyclope : dans le récit d?Homère, Ulysse utilise le vin pour neutraliser Polyphème. Une fois l?esprit du géant obnubilé, il tombe dans le sommeil et devient vulnérable. Le héros peut alors lui crever son ?il. Dans le récit algérien, ce n?est pas un produit matériel qui enivre le monstre, mais la parole : le jeune homme parvient à faire tomber, par son histoire qui ne finit pas, le cyclope dans le sommeil. Lui aussi l?aveugle, l?empêchant ainsi de le voir. Il n? y a pas de doute que les récits grec et algérien, ainsi que les récits marocains, puisent à la même source : celle des mythes et des légendes qui, à une époque fort éloignée, circulaient dans les pays méditerranéens et que les contes conservent?