Ce n?est pas la première fois que le Salon international du livre d?Alger est placé sous haute surveillance. Des saisies de livres y avaient été auparavant opérées, mais tout cela se faisait dans un cadre officieux. Cette année, outre la légalisation par décret de la censure, fût-elle sur le livre importé, une commission de lecture dont l?annonce a été faite par les organisateurs eux-mêmes a été installée. Pourtant, l?organisation du salon, même si elle vise à étancher la soif de lecture au niveau national, n?en répondait pas moins au souci de l?Algérie de se replacer sur la scène internationale après que les dix sanglantes années du terrorisme l?eurent mise au banc des accusés. Mais l?effort d?ouverture, qui s?est traduit par la relance des foires ainsi que par la tenue de plusieurs forums internationaux, dont celui inédit consacré à saint Augustin, s?est heurté très vite à de tenaces résistances. Car dans ce salon, où se bouscule la foule bigarrée, retentissent les réminiscences de la dernière guerre d?Algérie vue surtout par des protagonistes bannis ou marginaux. Comme un écho qui se répond dans une parfaite harmonie, le conflit politique resurgit et va frapper de plein fouet le monde de l?édition. L?alibi islamiste, évoqué pour faire taire la voix discordante, trouve sa traduction dans le domaine intellectuel dès lors que le livre gênant est frappé d?interdit. A l?interdiction des Lettres de Hassan el-Banna répond l?interdiction des Chroniques politiques de Aïssa Khelladi. Cet étrange amalgame opéré par la censure cache mal la motivation réelle : empêcher les citoyens d?accéder à une lecture plurielle de leur propre histoire récente. Il n?est même pas besoin d?en faire la démonstration, puisque c?est cette hantise même du retour de mémoire qui a motivé l?installation de la commission de censure. Les opuscules promis à l?autodafé : La Sale guerre de Souaïdia, Chroniques des années de sang de Samraoui sonnent comme un coup de semonce de ce passé maudit.