En 1962, l?Algérie comptait environ 470 salles de cinéma, dont un bon nombre de très haut standing. Aujourd?hui, il n?y en a plus qu?une douzaine, toutes délabrées et qui ne fonctionnent que par intermittence. Toutes les autres ont été transformées en locaux commerciaux et accaparées, on ne sait comment, par des responsables aux dents longues. Mais il y a, à la place de ces cinémas, des salles où l?on projette sous support vidéo dans des conditions de spectacle incroyablement dégradées. Au nez et à la barbe des pouvoirs publics, bien que la projection vidéo soit strictement interdite en public, pour protéger, bien évidemment, les auteurs du produit filmique. D?une manière générale, les Algériens ne savent plus ce qu?est une salle obscure et cela montre, de façon très claire, la régression sociale. Jusqu?à la moitié des années 1970, les gens allaient souvent au cinéma, parfois même accompagnés de leur épouse ou de leur compagne. Cela ne choquait personne et allait de soi. Il y avait dans ces salles une ambiance très conviviale. Des placeuses, coquettement mises, vous aidaient à trouver votre siège, soigneusement numéroté ; une musique de fond couvrait le murmure des spectateurs et de jolies filles vous proposaient des glaces, des cacahuètes ou des cigarettes que vous alliez fumer dans le hall. Les sièges, très confortables, étaient généralement en velours grenat ou vert. Lorsque les lumières s?éteignaient, un silence religieux s?installait dans la salle. On projetait d?abord les actualités, puis la bande annonce des films qui allaient passer prochainement dans la salle. Venait alors le film. Quand c?était un comique, c?était un plaisir d?entendre les gens éclater de rire à l?unisson et lorsque c?était un film d?action, on entendait jusqu?à la respiration des spectateurs. A l?entracte, les lumières s?allumaient. Les fumeurs profitaient de cette pause pour aller griller une cigarette et les autres commentaient l?action qu?ils venaient de vivre intensément, disant leur admiration pour le jeu des acteurs, pour la musique du film et essayant de deviner la suite des événements. A la fin, les centaines de spectateurs et de spectatrices sortaient sans se bousculer, descendant les marches en riant et en discutant, se donnant rendez-vous pour le prochain film. L?Algérie est aujourd?hui un des rares pays au monde à ne pas avoir de cinémas.