Robert et Marguerite sont un couple idéal. Du moins c?est-ce que l'on vient de décider en ce beau jour, sur les plateaux de télévision. Ils ont répondu à toutes les questions et bien mieux que les autres couples concurrents. Marguerite a su deviner les réponses de Robert quand on lui a demandé : «Quel est le principal défaut de votre épouse ?» et Robert, de son côté, a répondu avec précision à la question : «Quel est l'objet qui, pour Marguerite, symbolise le mieux votre rencontre ?» Applaudissements, cadeaux, chèque : Robert et Marguerite rentrent chez eux tout fiers de la victoire, riches d'une jolie somme, leur voiture encombrée de multiples cadeaux aussi utiles qu'agréables. Pendant quelque temps ils deviennent les héros du quartier, on les félicite chez tous les commerçants. Leurs deux enfants, Faustine et Joël, charmantes têtes blondes, sont les petites vedettes de l'école. Bonheur fugace pour ces deux fonctionnaires des PTT. Il faut dire que leur mariage a étonné tout le monde : la famille de Robert d'abord, sa mère effacée et craintive, son père, ancien militaire, violent et alcoolique. Robert leur a toujours semblé, hélas, malgré son intelligence indéniable et un peu au-dessus du commun, un fruit sec. Est-ce la violence du père qui bloque l'adolescent ? Toujours est-il que, depuis son jeune âge, il semble doté d'une paresse irrépressible. Comme il faut bien se résoudre à travailler, il devient, sans enthousiasme, cuisinier, mais ce métier, trop salissant à son gré, trop fatigant, ne lui convient guère. Pour juguler son instabilité, sa mère lui conseille de passer le concours de la fonction publique. Il réussit. Dès son premier poste, il rencontre Marguerite. Il a vingt-deux ans, elle en a dix-neuf. Elle aussi est plus intelligente que la moyenne. Elle occupe d'ailleurs un poste plus élevé que celui de Robert. En définitive, les deux jeunes gens se plaisent et décident de se marier. Ils deviennent, au cours des années qui suivent, les parents attendris de Faustine et Joël. Leurs vies semblent toutes tracées jusqu'à l'âge de la retraite. Mais si Marguerite, ambitieuse et sérieuse, construit sa vie avec opiniâtreté et volonté, Robert, lui, prend goût chaque jour davantage à l'alcool. Si tous les matins, on le voit descendre pour aller acheter son quotidien, on ignore qu'en fait il s'empresse, en route, d'effectuer une petite visite au coffre de sa voiture, coffre rempli de diverses bouteilles de whisky. A moins de trente ans, Robert boit une bouteille d'alcool écossais par jour... A ce régime-là sa santé n'est pas ce qu'elle devrait être. D'autant plus que Robert, fluet et d'allure un peu molle, n'a pas la carrure de certains grands buveurs nordiques. Aussi les conséquences ne se font guère attendre : absences à son travail, perte d'efficacité. Conscient de sa propre dégradation, Robert quitte le domicile conjugal. Pendant quinze jours... Au bout de cette période, il regagne l'appartement où Marguerite, furieuse mais digne, l'accable de son ironie méprisante. La vie reprend son cours. Ce jour-là, un dimanche de juin 1990 comme les autres, Faustine et Joël regardent des dessins animés à la télévision. Le ménage est fait, le déjeuner de midi est en route. Robert exprime le désir d'accomplir son devoir conjugal. Marguerite, en bonne épouse, acquiesce. Le couple s'enferme dans la chambre à coucher. Les enfants ne reverront jamais leur mère... Après quelques instants, ils entendent des gémissements qui viennent de la chambre. Inquiète, Faustine, du haut de ses quatre ans et demi, essaie d'ouvrir la porte. Fermée à clé. Puis Robert apparaît, seul, et déclare aux enfants que «maman est partie en promenade». La journée se passe, un peu morne. A tout instant, les petits interrogent leur père du regard : «Maman ne rentre pas ?» Son silence plonge l'appartement dans une atmosphère lourde. (à suivre...)