Le 13 août 1972, Mme Marguerite Villon est hospitalisée à la suite d'un problème rénal. Ses reins se sont brutalement bloqués, elle vient de perdre dix kilos en une semaine et les médecins diagnostiquent une mycose généralisée de tout son système digestif. Il était largement temps d'intervenir. Marguerite Villon n'est pas inquiète. On a identifié son mal. Elle est un peu en colère car voilà cinq ans que son médecin traitant lui fait prendre des doses de médicaments pour un diabète pratiquement sans intérêt. En même temps, il a toujours refusé de s'intéresser à des variations étonnantes dans le taux d'urée de sa patiente. Marguerite est là, couchée sur son lit. La perfusion pend à la potence chromée et le liquide s'infiltre goutte à goutte à travers l'aiguille qui lui perce la veine. Elle se surprend à dire : — Quel crétin ! Ah, ce n'est pas demain la veille que je remettrai les pieds chez lui ! — Vous avez raison ! Moi aussi, je suis tombée sur un médecin incapable. Mais j'en suis morte ! Marguerite met un certain temps à réaliser que quelqu'un vient de répondre à ce qu'elle dit. Elle tourne la tête vers le second lit de la chambre. Dans la demi-obscurité provoquée par les stores vénitiens qui protègent des rayons du soleil brûlant de l'été, Marguerite distingue une femme couchée sur le second lit : — Excusez-moi, j'étais persuadée que ce lit était inoccupé. Je dois être un peu comateuse. Je n'ai même pas remarqué quand on vous a amenée. Sur le lit, la femme semble transparente tant elle est fatiguée. Marguerite la regarde mieux : — Mais est-ce que je me trompe ? N'êtes-vous pas Cécile Dumont ? De la télévision ? Je suis toutes vos émissions avec beaucoup d'intérêt. J'aime tellement la manière dont vous arrivez à faire parler ceux qui sont en face de vous... Qu'est-ce qui vous arrive, si je peux vous poser la question ? Cécile Dumont semble faire un effort surhumain pour répondre : — Vous ne me verrez plus à la télévision. Je suis morte il y a une semaine. Et ce qui me met en colère, c'est de m'être entièrement trompée sur l'au-delà. Les choses ici sont tellement différentes de ce que l'on m'a enseigné toute ma vie ! Marguerite a fermé les yeux mais elle les rouvre soudain : — Vous êtes morte il y a une semaine ? Comment ça ? Elle se dresse sur les coudes pour entendre la réponse de sa voisine. Mais le lit à côté est entièrement vide, les draps et les couvertures bien tirés prêts à accueillir une patiente nouvelle ! Marguerite appuie frénétiquement sur la sonnette. Il se passe quelques minutes avant qu'une infirmière ne fasse son apparition : — Alors, madame Villon, qu'est-ce qui vous arrive ? La jeune infirmière antillaise est souriante. Marguerite dit : — Je dois avoir de la fièvre. J'ai des hallucinations... — Bon, je vais prendre votre température. Tout en plaçant le thermomètre, l'infirmière demande : — Quel genre d'hallucination avez-vous ? Ça peut être intéressant pour le professeur Hébrard... — Vous n'allez pas le croire. Il y a cinq minutes, là, sur le lit voisin, je viens de voir Cécile Dumont. Vous la connaissez ? La journaliste de la télévision. Celle qui est mariée à Frédéric Haschloff... La jeune Antillaise ne répond rien. Son visage a pris une couleur plombée. — Cécile Dumont ? Vous l'avez vue ? Sur le lit d'à-côté ? Ce n'est pas possible ! — C'est ce que je me suis dit. D'autant plus qu'elle a disparu comme elle est apparue. Elle a pris le temps de me dire qu'elle était morte. Et qu'elle était très étonnée de ce qu'elle avait découvert dans l'autre monde. La jeune infirmière n'a pas attendu la fin de la phrase. Déjà elle court dans le couloir en faisant claquer ses socques blanches (à suivre...)