Gâchis n La plupart des Algériens perdent, au minimum, une heure par jour à attendre leur transport. Multiplié par onze mois de travail, cela donne 286 heures. En d?autres termes, ce sont 12 journées de gaspillées ! La station de taxis collectifs, située rue Didouche-Mourad, à Alger, rassemble son lot de retardataires. Il est 21 heures et une vingtaine de personnes regardent dans la même direction ; peut-être qu?un bus, un taxi descendra la rue pour stopper net devant eux. Non, pas de miracle ! Tenaillé par l?angoisse de l?heure tardive, chacun passe le temps comme il peut. Quelques-uns s?impatientent sur place, d?autres font les cent pas tandis qu?un groupe de personnes, tête baissée, regarde nulle part. Le temps passe lentement. Les gens stressent, les figures se crispent. L?attente fait son effet. Lentement, doucement, les signes de fatigue apparaissent sur ces visages pâles, l?émotion «transparaît» telle une sueur invisible. Le temps ne veut plus avancer, il est lent et lourd. On étouffe ! Un jeune barbu, tout en rondeur, vêtu d?un kamis et d?un survêtement, bâille. La bouche grande ouverte, les poils hirsutes, son visage change, défiant les lois de la physique, il est une caricature, mais il ne sera pas intéressant pour les journaux danois. Les arrêts de bus, tristement vides, sont occupés par les ivrognes et des SDF auxquels ils serviront de logis. Une discussion animée s?engage entre deux ivrognes. Eux n?attendent pas de bus, ils n?attendent rien. Ils sont libres ! Une R4 blanche, immatriculée dans la wilaya de Djelfa en 1979, penchée du côté du conducteur, arrive lentement. Elle ne roule pas, elle boite. Les clients sursautent, se bousculent, chacun voulant monter le premier ; le chauffeur capte cette envie, roule lentement, stationne plus loin. Le temps qu?il s?arrête et déjà son véhicule est plein, le poids des occupants équilibre quelque peu ce semblant de véhicule. La voiture se reprend, dégageant une fumée noirâtre, puis démarre, laissant derrière elle cette masse que l?air n?arrivera pas à dissiper et qui finira par se poser telle une couronne sur une Mégane hautaine. La vie reprend ses droits, l?attente aussi. Une file de clandestins stationne devant El-Khaïma, un bar-restaurant connu pour son animation. Les gens continuent d?attendre. Coincés dans cette rue, dans cette ville, dans cette vie, ils sont épuisés, rêvant de taxi, le seul moyen d?achever cette journée pour en recommencer une autre, demain. Un clandestin arrive enfin. Tout le monde lui saute dessus. La délivrance.