Résumé de la 92e partie n Pour gagner la guerre, la vieille Mère-des-Calamités insiste sur la mort de Sharkân avant la bataille. Afin d'atteindre le but fixé, le meilleur guerrier chrétien fut préparé à cette mission. Or, ce maudit Lucas était le guerrier le plus effrayant de tous les pays des Roum ; et nul parmi les chrétiens ne savait comme lui lancer le javelot, ou frapper du glaive, ou percer de la lance. Mais son aspect était aussi repoussant que sa valeur était grande. Il était extrêmement hideux de visage, car son visage était celui d'un âne de mauvaise qualité ; mais, considéré attentivement, il ressemblait à un singe et, observé avec beaucoup de soin, il était tel un effroyable crapaud ou un serpent d'entre les pires serpents ; et son approche était plus insupportable que la séparation de l'ami ; et il avait volé à la nuit ses ténèbres et aux latrines la fétidité de leur haleine. Et c'est pour toutes ces raisons qu'il était surnommé Glaive-du-Christ. Donc lorsque ce maudit Lucas eut été fumigé et oint fécalement par le roi Aphridonios, il lui baisa les pieds et se tint debout devant lui. Alors le roi lui dit : «Je veux que tu ailles attaquer, en combat singulier, ce scélérat nommé Scharkân, et que tu nous débarrasses de ses calamités !» Et Lucas répondit : «J'écoute et j'obéis! » Et le roi, lui ayant fait embrasser la croix, Lucas s'en alla et monta un magnifique cheval alezan recouvert d'une somptueuse housse rouge et sellé d'une selle de brocart enrichie de pierreries. Et il s'arma d'un long javelot à trois fers ; et, de la sorte, on l'eût pris pour le Cheïtân en personne. Puis, précédé de hérauts d'armes et d'un crieur, il se dirigea vers le camp des Croyants. Donc le crieur, devant le maudit Lucas, de toute sa voix se mit à crier en langue arabe : «O vous, les musulmans, voici le champion héroïque qui a mis en fuite bien des armées d'entre les armées turques, kurdes et déilamites ! C'est Lucas l'illustre, fils de Camlutos ! Que d'entre vos rangs sorte votre champion Scharkân, maître de Damas au pays de Schâm ! Et, s'il l'ose, qu'il vienne affronter notre géant !» Or, à peine ces paroles avaient-elles été criées qu'on entendit un tremblement dans l'air retentissant et un galop qui fit frémir le sol et jeta l'épouvante jusque dans le cœur du maudit mécréant, et fit se tourner toutes les têtes dans cette direction. Et apparut Scharkân en personne, fils du roi Omar Al-Némân, et il arrivait droit sur ces impies, semblable au lion en courroux, et monté sur un cheval telle la plus légère des gazelles. Et il tenait à la main sa lance, farouchement, et déclamait ces vers : «A moi appartient un alezan aussi léger que le nuage qui passe dans l'air. Il me contente ! A moi appartient une lance indianisée, au fer coupant. Je la brandis ! Et ses éclairs ondulent comme les vagues !» Mais l'abruti Lucas, qui était un barbare sans culture, des pays obscurs, ne comprenait pas un mot d'arabe, et ne pouvait goûter la beauté de ces vers et l'ordonnance de ces rythmes. Aussi se contenta-t-il de toucher son front, qui était tatoué d'une croix, et de porter ensuite sa main à ses lèvres par respect pour ce signe étrange. Et soudain, plus hideux qu'un porc, il poussa son cheval sur Scharkân. Puis il s'arrêta brusquement dans son galop et lança très haut dans l'air l'arme qu'il tenait à la main, si haut qu'elle disparut aux regards. Mais bientôt elle retomba. Et avant qu'elle n'eût touché terre, le maudit, tel un sorcier, la rattrapa au vol. Et alors, de toute sa force, il lança son javelot à trois fers sur Scharkân. Et le javelot partit rapide comme la foudre. Et c'en était fait de Scharkân ! (à suivre...)