Une jeune fille de dix-huit ans ne s'est pas réveillée ce matin-là. Une jeune fille qui venait de passer l'examen d'une grande école, une jeune fille tranquille, qui vivait dans un pavillon de banlieue tranquille, qui allait partir en vacances au soleil d'Espagne, un 15 août 1988. Une jeune fille au joli sourire, au regard doux, à l'avenir assuré par un travail assidu, la réussite aux examens. Une jeune fille qui faisait la joie de ses parents. Ce matin-là, elle ne répond pas au téléphone. Au bout du troisième appel, sa mère s'inquiète et son père décide d'aller voir ce qui se passe dans le pavillon qu'elle habite. Plus jamais il n'oubliera le choc de la découverte du corps de sa fille, dans cette salle de bains : neuf coups de couteau, le sang, l'horreur totale. La vie bascule pour toujours, le choc est ineffaçable. Désormais, ouvrir une porte de n'importe quelle salle de bains deviendra un cauchemar. La vision ne le quittera plus. La petite sœur de quatre ans, traumatisée à vie, a peur de tout, de sortir seule dans la rue, d'un regard qui s'attarde sur elle ; une mèche de cheveux blancs marque la terreur de l'enfant devant la mort de Martine, la grande, la douce sœur aînée, celle qui venait à peine d'entrer dans la vie adulte, après une enfance et une adolescence exemplaires. On suppose qu'il s'agit de cambrioleurs dérangés dans leurs activités, on les recherche, et l'on n'écoute pas suffisamment la mère de la victime qui dit immédiatement à la police : «Un jeune homme a travaillé dans la maison d'en face pendant quinze jours, il observait sans cesse le voisinage, son comportement était bizarre. Je le connais depuis qu'il est enfant, il est perturbé, interrogez-le !» On n'écoute pas suffisamment, car on commence par répondre à la maman en larmes : «On ne commence pas une enquête criminelle de la sorte, il faut d'abord procéder par élimination.» C'est ainsi qu'au bout d'un mois, les enquêteurs ayant donc «procédé par élimination», écarté la suggestion de la mère après l'avoir examinée rapidement, et n'ayant toujours pas de piste, se penchent avec intérêt sur une dénonciation anonyme. Au téléphone, une voix jeune déclare abruptement : «C'est Untel qui a tué Martine.» Il se trouve qu'«Untel» est connu des services de police — cambriole et violences, casier. Un bon suspect. Mis en garde à vue, il est, selon l'expression d'un enquêteur, «conduit à avouer qu'il est l'auteur des faits». Untel est donc présenté devant un juge d'instruction, et là, il se rétracte immédiatement. Refrain connu, chanson mille fois entendue, il prétend que la police l'a battu pour lui extorquer des aveux. En raison de certains détails qu'il semble avoir donnés sur ce crime qu'il refuse maintenant d'endosser, Untel n'est pas cru. Untel est inculpé, incarcéré, et attend en prison, durant un an, que l'instruction soit close et d'avoir à s'expliquer devant les assises. Il n'est ni le premier ni le dernier à avouer un crime devant la police et à reculer devant les juges. Pendant ce temps, le dénonciateur anonyme le reste. C'est ici que commence la problématique de l'aveu. L'aveu n'est qu'une présomption et ne doit être pris pour argent comptant qu'accompagné de preuves matérielles solides, d'évidences, de témoignages concordants — bref, celui qui avoue n'est pas forcément coupable. Mais ce présumé coupable (dénoncé par un complice de cambriole, suppose la police) a un casier et il a avoué : que demande le peuple... Que demande le peuple ? La vérité. De la part du présumé coupable. Mais pour beaucoup, la vérité n'est pas un principe, ils jouent avec depuis si longtemps que, peut-être, ils ne savent plus où elle habite, cette vérité. (à suivre...)