Austin dans le Texas, sur le campus de l'université : un jeune homme de vingt et un ans entre dans une cabine téléphonique en verre, le dimanche 1er août 1966 à onze heures trente du matin. Il croit qu'il est seul et que personne ne l'observe. Il se trompe. Le jeune homme, qui s'apprête à composer un numéro de téléphone, regarde sans les voir les allées et venues des gens sur le campus de l'université. Soudain, dans ce ballet tranquille, sous le soleil, me fausse note : une jeune fille mince, dans une robe légère, qui passait à dix mètres, au pied d'une statue, vient de tomber sur les genoux. Le jeune homme n'achève pas le numéro de téléphone qu'il était en train de composer. La jeune fille a l'air de souffrir, du sang coule sur sa robe. Il entrouvre la porte de la cabine, et I'entend crier : «Venez m'aider !» Il raccroche l'appareil et se précipite. D'autres personnes, çà et là, se sont retournées sans comprendre. Parmi elles, un jeune professeur qui trébuche et s'effondre. Le jeune homme, de son côté, ressent une violente douleur dans le bras gauche. Il s'aplatit dans l'herbe, à deux mètres à peine de la jeune fille. Lui non plus ne comprend pas. Tout se brouille dans sa tête. Autour de lui, tout le monde hurle. Il lui semble bien entendre des coups de feu, mais d'où viennent-ils ? Est-ce un cauchemar ? Partout, des gens tournoient sur eux-mêmes et tombent. Le jeune professeur, qui s'est effondré quelques secondes plus tôt, ne bouge plus : d'instinct, comme les animaux poursuivis, il fait le mort. Quelques minutes plus tard, le jeune homme réalise enfin : les coups de feu viennent de la tour. Cette énorme tour de cent mètres de haut surmontée d'un carillon de dix-sept cloches, qui domine toute la ville et rythme la vie du campus. Une aventure sanglante vient de commencer. Elle va durer une heure et demie. La tour du campus d'Austin au Texas rythme la vie de 186 000 habitants et 26 000 étudiants. Tous les quarts d'heure, de 6h 30 à 20h, on entend son carillon de dix-sept cloches. Sur trente étages sont répartis les bureaux des recteurs et une bibliothèque d'un million huit cent mille volumes. «Je me jette du haut de la tour si je ne dis pas la vérité», disent les étudiants. «Si je ne réussis pas cette année, je n'ai plus qu'à me jeter du haut de la tour», etc. La tour est entrée dans le langage courant. Ce matin-là, vers 11h 40, tous les regards sont dirigés vers la tour. Sous le cadran de l'énorme horloge, entre les pierres du parapet qui borde le balcon monumental, formant un créneau, on croit distinguer quelque chose. Un libraire de l'avenue qui longe le côté sud de la tour voit passer, devant sa boutique, un jeune Noir à bicyclette. Soudain, celui-ci zigzague et tombe dans un bruit de ferraille, en criant au secours. On entend partout des cris, des sirènes d'ambulance et des voitures de police. Des gens tournent sur eux-mêmes comme des toupies. D'autres se cachent derrière des voitures en stationnement. Déjà les policiers, cachés derrière les arbres, tirent en direction de la tour. Des habitants de la ville et des étudiants, ayant sorti des armes on ne sait d'où, tirent également. Le libraire pense qu'il doit y avoir un fou là-haut qui tire sur la ville. (A suivre...)