L'année 1993 a connu, comme les précédentes, son lot d'horreurs : viols et crimes d'enfants. Isabelle avait trois ans et quelques poussières de semaines en plus. C'était en février 1989. Sa maman l'avait installée à l'arrière de sa voiture, à côté du petit chien ; ils dormaient tous les deux. Ses courses faites, elle est allée chercher son fils aîné confié aux grands-parents ; il était aux environs de dix-neuf heures dix. La voiture garée devant la maison, elle a hésité une seconde. Réveiller l'enfant ou la laisser dormir, le temps de récupérer son frère ? Dix minutes... Elle l'a laissée dormir. Les portières n'étaient pas fermées, le petit chien n'était pas un molosse et elle avait l'intention de faire vite. De toute façon, la voiture était visible de la maison. Mais quatre individus malfaisants rôdaient. A dix-neuf heures trente, l'enfant avait disparu, le petit chien dormait toujours, et à vingt heures vingt, la police retrouvait le cadavre d'Isabelle à soixante mètres de là, à peine dissimulé par un buisson de square. Comme un chemin sanglant menant au Petit Poucet, d'abord l'anorak, puis les bottes, puis la salopette, puis le corps. A trois ans, Isabelle a été frappée violemment à la tête, violée et égorgée. Un sac de sport, bleu, vide, sale, en mauvais état, fait partie de l'horrible chemin de croix. Il n'était pas dans la voiture, c'est celui de l'assassin. L'enquête révèle assez vite une série de vols à la roulotte dans le quartier ce même soir, vers dix-neuf heures. Les habitués de ce genre de sport sont plus ou moins connus de la police, car récidivistes. Les alibis sont vérifiés, des arrestations suivent. Quatre individus malfaisants. Le premier n'est plus très jeune. Trente-sept ans. Ses copains le surnomment «le Gros». Grand, front obtus, regard en dessous, capacités intellectuelles faibles, RMIste, sait à peine lire et écrire, voleur à la roulotte. Tendances pédophiles, dit un témoin. Le deuxième a vingt-cinq ans. Cheveux gominés, bouche veule, surnommé «Kenzo», analphabète, il est catalogué dans les débiles faibles. Pervers, connu pour un attentat à la pudeur sur une petite fille de quatre ans, on l'a surpris un jour, avec un acolyte, en train de la déshabiller dans la cave d'un immeuble. Le troisième, surnommé «Crâne-d'obus», vingt-trois ans. Visage tout en longueur, regard anxieux, une ombre de moustache. A côté des deux premiers, son quotient intellectuel est quasiment normal. La preuve en est qu'il est militaire et était en permission depuis le samedi qui a précédé la mort de l'enfant. Selon la terminologie «psy», l'homme se rangerait dans les émotifs phobiques, en particulier sexuellement. Le quatrième est le propriétaire du sac de sport bleu. «Kenzo» l'a dénoncé à la police. Trente-cinq ans, QI largement au-dessous de celui des autres. Surnommé «le Clochard». Il ne comprend pas toujours ce qu'on lui dit. Analphabète lui aussi, il traîne, bricole de vieux téléviseurs, son point de chute favori est une station d'essence, où il se fournit en canettes de bière. Il habite chez sa mère, qui le décrit comme «un doux», «incapable de faire du mal à un enfant». Mais il pratique lui aussi, comme les autres, le vol à la roulotte, et il reconnaît que ce soir-là, lui et les trois autres ont piqué quelques bricoles. Rien d'autre. Il était chez sa mère à l'heure du crime, il était malade. «Kenzo», lui, accuse son complice. Il l'a vu «emporter l'enfant». Après quoi, il l'a vu «la violer et la tuer». «Crâne-d'obus» dit la même chose. «Le Gros» n'a rien vu. Le principal accusé est donc arrêté un mois et demi après les faits. (à suivre...)