«Chérie, viens voir ! Un miracle, je n'arrive pas à y croire.» En ouvrant son courrier ce matin-là, Michel R., un jeune père de famille, n'a pu s'empêcher de pousser un cri. Les mains tremblantes il regarde, effaré, son relevé de compte bancaire. Sylvette R., sa jeune épouse, arrive en courant de la cuisine. Elle essuie ses mains humides sur son tablier. «Qu'est-ce qui se passe encore ?» Les yeux battus par le manque de sommeil, elle s'attend au pire, mais en regardant le visage de Michel, elle distingue une lumière qui l'éclaire d'une joie insolite, comme si le relevé de leur compte bancaire reflétait dans ses yeux une lumière surnaturelle. «Regarde, on nous a viré 100 000 F sur notre compte, juste la somme que l'on cherche désespérément depuis six mois !» «?a n'est pas possible, c'est sûrement une erreur.» Elle lui arrache presque des mains le relevé. A la place de la maigre somme qui devrait se trouver au total, elle lit un chiffre bien confortable. Plus haut dans la colonne des crédits, la somme brille presque : 100 000 F avec comme explication : Virement d'un tiers. Malgré sa joie, Sylvette, en femme prudente qui a déjà été échaudée par l'existence, hésite à croire à son bonheur. Il s'agit certainement d'une erreur. Elle saisit le téléphone et demande un peu plus tard dans la matinée un rendez-vous au directeur de l'agence. Ils vont connaître la vérité. La journée passe lentement, de temps en temps Michel jette un regard sur le relevé bancaire. Si cela pouvait être vrai, s'ils avaient enfin, par un miracle de la petite sainte Thérèse, obtenu cet argent faute duquel ils risquent de ne pouvoir payer les traites de leur maison, ils risquent de se retrouver à la rue... Ils n'osent y croire. Pourtant, un peu plus tard, en sortant de l'agence où ils viennent d'être reçus par le directeur, Sylvette et Michel ont un peu la tête qui leur tourne. Ils se précipitent au café le plus proche et s'offrent un apéritif bien tassé pour fêter le coup de chance qui vient de leur tomber sur la tête. Tout est parfaitement en ordre, cette somme de 100 000 F est bien affectée à leur compte. Ce n'est pas un cadeau, il faut le préciser, mais un prêt «d'honneur» qu'ils se sont engagés à rembourser ponctuellement d'après leurs rentrées d'argent normales, sans mettre leur budget en péril. Vraiment merci la petite Thérèse, car nous sommes en Normandie... Michel et Sylvette ne sont pas les seuls chanceux de la petite commune. La Banque du bonheur fait d'autres heureux, sélectionnés par un directeur hors du commun, d'autres désespérés voient à nouveau le soleil luire au bout du chemin. La France est un pays de braves gens... Pourvu que cela dure... Une dame restauratrice a besoin de 120 000 F. Xavier Z., le directeur de l'agence bancaire en question, qui est bon vivant, prête. A présent, c'est un garagiste qui est en difficulté. Mais Xavier pense que le garage est une bonne affaire. Il n'y connaît rien. Il se trompe. Puis il s'intéresse à un bar où l'on confond chiffre d'affaires et bénéfices. La banque verse la somme nécessaire sur le compte : soit 200 000 F. D'autres encore connaissent le même bonheur : une douzaine en tout. Les heureux bénéficiaires remboursent, rubis sur l'ongle, ces prêts tombés du ciel. Ce matin-là, Xavier, l'amabilité faite homme, a commencé sa journée comme tous les autres matins, le sourire aux lèvres, le cœur plein de tendresse et de compassion pour les êtres humains si pitoyables qui peuplent le vaste monde. Il se promet comme tous les autres jours de rendre quelqu'un heureux, en dépit des lois de la finance, en dépit de l'ordre du monde... Mais il n'a guère le temps d'examiner un nouveau projet. La porte de son bureau vient de s'ouvrir et il voit entrer son patron direct, tout droit arrivé du chef-lieu de canton. Celui-ci, avec sa mine des mauvais jours, lance à la secrétaire : «Qu'on ne nous dérange pas !» Xavier sait, dans l'instant même, que tout est fini et que sa carrière dans la banque risque de s'arrêter là. (à suivre...)