Image n Les murs décrépis et noirs d'humidité donnent une triste mine à l'endroit. Au détour des squelettiques piliers, des graffitis très peu pudiques et chahutés ajoutent à la désolation. Deux odeurs se dégagent, suffocantes toutes les deux à vous couper le souffle. Celle d'une bouteille pleine d'urine et celle d'un chaton à la fourrure grise en état de décomposition avancée. Par terre, des cannettes de bière, cabossées, disputent, sans vergogne, la palme à de petits bouts de joints calcinés laissés là comme seule empreinte d'une soirée tumultueuse. Au fond des ténébreux sous-sols, un tas de cendres grisâtres résiste aux sifflements des rafales de vent qui s'abattent directement sur le béton solide, mais qui commence à s'effriter par l'effet de l'humidité. Le temps est, ici, le principal ennemi. A mesure qu'il passe, ses égratignures sont si tenaces qu'elles donnent l'air d'être des plaies non encore soignées. Des piles de parpaings dorment sur un lit de rond à béton rouillé. Un autre «lit», fait de cartons et journaux aux pages jaunies par le soleil, est bourré d'excréments, sans doute laissés par un clochard qui ne trouvait pas meilleur refuge, de jour comme de nuit, pour faire ce que bon lui semble, loin des railleries irritantes des badauds. Tout ce ramassis a encore de beaux jours devant lui, car les agents de Netcom ne risquent pas de faire une descente pour remettre de l'ordre dans les lieux au risque d'y laisser leur peau. Le «Titanic», sobriquet donné, par on ne sait quelle magie, au vieux projet Belhaffaf, une épave de béton armé faisant dos au nouveau siège de l'APC de Sidi M'hamed, face au ministère du Travail et de la Sécurité sociale, est devenu un lieu d'accueil pour les agresseurs, les receleurs et surtout un endroit infâme où des meurtres ont été commis. Tout dernier acte funeste, le 24 mars dernier, un jeune homme de 35 ans, «un habitué des lieux» selon le voisinage, a été retrouvé sans vie, le corps lacéré, avec des œdèmes sur le cou, le visage et les bras. «Un règlement de comptes», pour les uns ; «une bagarre qui a dégénéré», pour les autres. Entre-temps, l'affaire est décortiquée par les enquêteurs qui, toutefois, disent «n'écarter aucune piste». Pourtant, ce cadavre n'est pas la dernière trouvaille. Le chantier Belhaffaf, lancé exactement le 15 septembre 1986 et promu, dans l'embryon, à devenir le premier pôle commercial de la capitale avec ses deux étages et son grand parking souterrain et ce, après 36 mois de travaux évalués à 86 millions de dinars, a tristement une demi-douzaine d'assassinats, une centaine d'agressions et de viols à son palmarès. La plupart, qui se sont déroulés en pleine nuit, sans témoins, sont toujours non élucidés. Début mars, un jeune habitant de Chaâba, sur les hauteurs de Belouizdad, a été tué la nuit dans le «Titanic» par des inconnus qu'on n'a jamais pu identifier. Un autre jeune, la trentaine entamée, a été victime, quelques jours auparavant, toujours durant la nuit, d'un infarctus du myocarde alors qu'il était en train de «picoler» paisiblement avec des amis du quartier qui, affolés et ne sachant que faire, l'auraient aspergé d'essence et transformé en cendres.