Histoire n En cette année 1929, la prohibition — interdiction légale de la production et de la vente des boissons alcoolisées — entre dans sa dixième année. Ce matin du 14 février 1929, jour de la Saint Valentin, il fait froid à Chicago, ce qui explique qu'il n'y a pas beaucoup de monde dans les rues. Les sept hommes qui descendent d'un fourgon scrutent quand même les environs avant de s'engouffrer dans un garage. Les rares passants reconnaissent des hommes de Bugs Moran, un des gangsters qui règne sur la partie nord de Chicago qui contrôle le marché de l'alcool. En cette année 1929, la prohibition ou interdiction légale de la production et de la vente des boissons alcoolisées entre dans sa dixième année. Rappelons que par le 18e amendement de la Constitution américaine, ratifié en janvier 1919, il est interdit de fabriquer, de vendre et d'acheter, sur tout le territoire des Etats-Unis, les boissons qui contiennent plus de 0,5% d'alcool. En fait, la prohibition a commencé au XIXe siècle quand, sous l'influence des associations religieuses, l'Etat du Massachusetts a décidé que la vente de rhum ne se ferait qu'en grosse quantité et à prix élevé pour éviter que les gens du peuple ne s'enivrent. Les milieux conservateurs applaudissent la décision et un parti rassemblant les adversaires de l'alcool est créé en 1869 : c'est le Prohibition Party. Parti en guerre contre l'alcool, il parvient, lors des élections présidentielles de 1888 et 1892, à rafler 2,2% des suffrages, ce qui est un véritable exploit pour un petit parti. Depuis le début du siècle, ce parti n'a plus de poids qu'au niveau local, mais les prohibitionnistes vont devenir plus nombreux et un combat sans merci est livré contre les maux sociaux, notamment l'ivrognerie, à la source d'un grand nombre de délits. Les prohibitionnistes ne sont plus des bigots, comme c'était le cas au Massachusetts, mais des progressistes qui combattent également la pauvreté et l'injustice sociale. Ils sont rejoints par de nombreux Américains qui souhaitent un retour à une société saine. Plusieurs Etats sont conquis par ces idées et interdisent l'alcool avant 1914 ; d'autres, au nom de la liberté individuelle, hésitent. L'entrée dans la Première Guerre mondiale de l'Amérique favorise le nationalisme : les prohibitionnistes profitent du climat général pour obtenir un amendement à la Constitution : désormais, l'alcool est interdit sur tout le territoire américain. En même temps que les idées prohibitionnistes se développe un courant anti-immigrants : on juge, en effet, que l'alcoolisme est une tare européenne et qu'elle est transportée par les immigrants. Naguère progressistes, les prohibitionnistes se rapprochent des groupes fondamentalistes, voire racistes, comme le Ku Klux Klan. La prohibition a, bien sûr, ses détracteurs, amateurs de boissons alcoolisées mais aussi défenseurs des libertés individuelles que le 18e amendement remet en cause, selon eux. Des campagnes ont été menées pour sa suppression, mais le poids des prohibitionnistes est trop grand pour que ces revendications aboutissent. En attendant, la prohibition fait le bonheur des trafiquants : outre l'alcool introduit frauduleusement de l'étranger, brasserie et distilleries clandestines n'arrêtent pas de produire de l'alcool, vendu au prix le plus fort. Gangsters et bootleggers ou trafiquants d'alcool se disputent à mort ce marché très juteux. (à suivre...)