Régions L?hiver qui pointe va, encore une fois, accentuer la misère et le dénuement de la population. Aïn Abessa ou Echaïbba pour les anciens est une bourgade située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Sétif. Nichée au pied du djebel Megriss qui culmine à 1 730 m, c?est une véritable petite oasis de verdure, réputée pour son climat sain, son air pur, et qui fut, autrefois, un lieu de villégiature. Créée à la fin du XIXe siècle (1871), Aïn Abessa est devenue commune en 1872. Vouée à une grande prospérité, elle se meurt aujourd?hui dans une profonde léthargie qui s?amplifie faute de projets et de structures économiques à même de la sortir de sa torpeur. Région à vocation agricole (céréales, vergers, élevage) elle croule sous l?effet d?un exode massif. Entre 1993 et 1997, les habitants des régions limitrophes, comme Amoucha, Tizi N?béchar, Aïn Roua, fuyant les affres du terrorisme, sont venus s?y implanter, accroissant une démographie déjà galopante. Les maigres ressources disponibles ont engendré une pauvreté endémique. La quasi-totalité de sa population qui a la chance d?être active travaille au le chef-lieu de wilaya ou ailleurs, la commune ne disposant d?aucun secteur d?activité. Le chômage, qui atteint des proportions alarmantes, et l?oisiveté, ont entraîné la jeunesse désespérée de ce village vers des pratiques dangereuses. Sans aucune perspective, les jeunes s?adonnent à la drogue, aux barbituriques et à l?alcool. La semaine dernière, la brigade de gendarmerie a arrêté quatre adolescents pour trafic et consommation de stupéfiants. Et ce n?est là que la partie émergée de l?iceberg. Aïn Abessa demeure piégée et minée par les luttes de clans et l?esprit tribal. Dans cette contrée, la population redoute particulièrement l?hiver. Ici, il dure 7 mois. Il est glacial, implacable. Le mercure, la nuit, descend en deçà de zéro et frigorifie les chaumières. La région détient toujours le record des chutes de neige, notamment sur le célèbre col de Takouka. La RN 7 est alors bloquée durant plusieurs jours et le village se retrouve coupé du reste du monde. Pour se chauffer, on utilise le gasoil comme combustible. A 11,475 DA le litre, la nuitée revient à environ 130 DA, avec 10 litres de ce liquide, devenu précieux et hors de portée de la bourse de la majorité. À défaut, on utilise le gaz butane, quand la bouteille de gaz est disponible et qu?elle n?atteint pas 400 DA, comme l?année dernière. En hiver, une procession de bambins et d?adultes transis, armés de bidons et de jerricans en plastique, se forme devant l?unique station-service située à 2 km de là, attendant des heures pour 5 ou 10 litres de mazout ou une bouteille de gaz. Les plus démunis ont recours au bois, comme durant la colonisation, et reconstruisent les cheminées qu?ils avaient détruites, pensant ne plus les utiliser... Les citoyens de Aïn Abessa ne s?expliquent pas pourquoi le gaz naturel n?a pas été installé dans cette région, l?une des plus froides d?Algérie ! Les quinze mille âmes qui y vivent demeurent toujours interloquées. Pourtant, cette localité n?est distante de Sétif que de 8 km à vol d?oiseau, et le relief est loin d?être accidenté. Toute la population se dit prête à mettre la main à la poche et à se mobiliser avec tous les moyens pour aider à la réalisation de ce projet, qui désenclaverait la région et pousserait les opérateurs économiques à investir et à créer de l?emploi et de la richesse. De guerre lasse, la population sait qu?elle n?a plus rien à espérer et, surtout, elle n?attend plus rien des autorités. Gavée de promesses lors de chaque élection, elle en est repue à en devenir sourde, et même les plus beaux chants des sirènes ne la font plus tressaillir.