Les sources musulmanes relatives à Noé sont en rapport étroit, sur bien des faits, avec les sources juives, en particulier la Genèse et la Haggada. Néanmoins, elles sont plus riches et permettent de combler certaines lacunes de la Bible. Pour l'islam, le déluge a eu lieu et a revêtu le caractère d'un châtiment : l'anéantissement d'une génération perverse et son remplacement par une génération nouvelle. Lorsqu'une époque est révolue à la suite d'une catastrophe motivée par la déchéance des hommes, une ère nouvelle lui est ouverte pour lui permettre de s'amender et de s'améliorer. Cette idée de régénérescence morale de l'humanité et de dépollution de la terre est une constante de la pensée religieuse sémitique. L'espèce humaine se renouvelle à travers les générations selon la volonté de Dieu. Le Coran insiste sur cette alternance périodiquement motivée, sur l'idée du remplacement, lorsque cela s'avère nécessaire, d'un peuple ou d'une génération par un peuple tout nouveau ou par une génération toute nouvelle, Dieu étant à même d'anéantir et de régénérer, de créer et de recréer, de faire alterner l'heur et le malheur, de faire surgir la vie de la mort et la mort de la vie, de substituer à une civilisation dégradée, corrompue et corruptrice, une autre civilisation mieux équilibrée, plus saine, plus conforme à la nature humaine dans ce qu'elle a de supérieur et à la vocation qu'Il lui a assignée. Autre constante : c'est par l'eau que la purification morale et physique se réalise. De là, la conception d'un déluge purificateur grâce auquel la terre est purgée cycliquement de la perversion humaine. Il demeure entendu que pour une étude plus approfondie de l'histoire du Prophète Noé et du Déluge, d'autres sources sont à consulter et notamment la sourate de Noé (LXXI) dans une traduction commentée du Coran. A ces références qui n'ont évidemment rien d'exhaustif, s'ajoutent les comptes-rendus des fouilles entreprises par les missions de géographie, de géologie et d'archéologie en Mésopotamie. Mais nous devons à la vérité de dire que quelle que soit l'abondance des sources, quelle que soit l'importance de l'exploitation dont elles ont été l'objet, sur un plan purement historique, les renseignements que nous avons actuellement sur Noé sont d'une indigence et d'une valeur décourageantes. Qui était-il exactement ? De quel pays venait-il ? A quel peuple s'adressait-il ? Vers quelle époque vivait-il ? A toutes ces questions, il est impossible, dans l'état actuel de nos sources d'information, de répondre avec un minimum de certitude. Les documents historiques dont nous disposons relèvent plutôt de la littérature légendaire. Ils sont généralement contradictoires. On nous dit qu'il était de l'Arabie ou de Bahrein. Mais on nous dit aussi qu'il était de l'Inde ou de l'Iran. Certains auteurs nous disent qu'il était contemporain du roi persan Zuhac. D'autres affirment qu'il eut affaire plutôt au roi babylonien Nemrod, fondateur de Babylone. Mais l'histoire est une science et la science ne se construit pas sur des à-peu-près. Sur le Déluge ramené aux dimensions qui ressortent de l'archéologie et sur la mission de Noé, nous n'avons aucun doute. Par son milieu originel, sur son aire d'action et sur son époque nous sommes en pleine nuit. Il ne nous reste qu'à répéter la formule consacrée «Allahu 'a'lamu» (Dieu connaît mieux la réalité des choses). Cela dit, il convient, au point de vue de la stricte théologie, de retenir que Noé est pour l'islam un grand patriarche, un Prophète avertisseur et annonciateur que Dieu avait choisi comme témoin d'un anéantissement, comme instrument d'une survie et comme symbole d'un renouvellement chaque fois que nécessaire d'une humanité qui ne doit jamais cesser, par vocation, de véhiculer l'espérance. Des soufis l'ont pris comme modèle de constance et d'ascèse. Les corporations musulmanes (sinf, kâr, hanta, hirfa) ont, dès leur naissance (IIIe/IXes.) et leur organisation sous l'influence de l'hérésie Qarmate, dont le centre al-'Ahsa qui n'était pas très loin d'Ur, choisi Noé parmi leurs grands maîtres. Dans leur initiation égalitaire (shadd), leurs structures socialo-mystiques, leurs constitutions (dustûr) et leurs coutumiers (futuwwa), elles se sont toujours réclamées de l'illustre Prophète qu'elles ont donné comme patron aux charpentiers. Ajoutons pour finir que selon diverses sources religieuses, c'est à Noé que se rattache la notion d'alliance. On lit dans la Genèse : «Voici que je conclus une alliance avec vous et avec vos descendants, après vous et avec tous les êtres qui sont avec vous, toutes les bêtes sauvages.» Ainsi, avec lui, l'alliance a le sens, non pas d'un privilège spécial qui ne concerne que le peuple juif, à l'exclusion de tous les autres, mais d'une relation de subordination de tous les êtres à leur Créateur. Noé aurait vécu, selon des estimations absolument arbitraires, c'est-à-dire non fondées sur une base historique sûre, vers 2950 avant Jésus-Christ. Il mourut 350 ans après le déluge, à l'âge de 950 ans.