Résumé de la 32e partie n Kanmakân et son nouvel ami le Bédouin voient arriver un cavalier blessé. Alors Kanmakân s'accroupit près du blessé et lui lava attentivement ses blessures, et les recouvrit doucement d'herbe fraîche ; puis il donna à boire au mourant et lui dit : «Mais qui donc t'a mis en cet état, ô frère d'infortune ?» Et l'homme dit : «Sache, ô toi à la main secourable, que le cheval que tu vois là dans sa beauté est la cause qui m'a mis dans cet état. Ce cheval était la propriété du roi Aphridonios lui-même, maître de Constantinia ; et sa réputation nous était connue à tous, nous les Arabes du désert. Or, un cheval de cette sorte ne doit pas rester dans les écuries d'un roi mécréant ; et, pour l'enlever au milieu des gardes qui le soignaient et le veillaient jour et nuit, je fus désigné par ceux de ma tribu. Et je partis aussitôt et j'arrivai de nuit sous la tente où était gardé le cheval, et je fis connaissance avec ses gardiens ; puis je profitai du moment où ils me demandaient mon avis sur ses perfections et me priaient de l'essayer pour l'enfourcher d'un bond et, d'un coup de fouet, l'enlever au galop. Alors les gardes, leur surprise passée, me poursuivirent sur leurs chevaux en me lançant des flèches et des javelots, dont plusieurs, comme tu le vois, m'ont atteint dans le dos. Mais le cheval m'emportait, toujours plus rapide que l'étoile filante, et il finit par me mettre totalement hors de leur portée. Et voici trois jours que je suis sur son dos, sans arrêt ! Mais mon sang s'est écoulé, et mes forces m'ont quittées ; et je sens la mort me fermer les paupières ! «Aussi, puisque tu m'as secouru, le cheval, à ma mort, doit te revenir. Il est connu sous le nom d'El-Kâtoul El-Majnoun, et c'est le plus beau spécimen de la race d'El-Ajouz ! «Mais auparavant, ô jeune homme dont les habits sont si pauvres et le visage si noble, rends-moi le service de me prendre derrière toi sur le cheval et de me transporter au milieu de ma tribu, pour que je meure sous la tente où je suis né !» A ces paroles, Kanmakân lui dit : «ô frère du désert, j'appartiens, moi aussi, à une lignée où la noblesse et la bonté sont coutumes. Or, je suis prêt, même si le cheval ne devait pas me revenir, à te rendre le service demandé !» Et il s'approcha de l'Arabe pour le soulever ; mais l'Arabe poussa un grand soupir et dit : «Attends encore un peu ! Peut-être que mon âme va sortir sur l'heure ! Je vais témoigner de ma foi !» Alors il ferma les yeux à demi, étendit la main, en tournant la paume vers le ciel, et dit : «Je témoigne qu'il n'y a d'autre Dieu qu'Allah. Et je témoigne que notre seigneur Mohammed est l'Envoyé d'Allah !» Puis, s'étant ainsi préparé à la mort, il entonna ce chant, qui fut ses dernières paroles : «J'ai parcouru le monde au galop de mon cheval, semant sur ma route la terreur et le carnage, torrents et montagnes, je les ai franchis pour le vol, le meurtre et la débauche. «Je meurs comme j'ai vécu, errant le long des routes, blessé par ceux-là mêmes que j'ai vaincus ! Et le fruit de mes peines, je l'abandonne sur le bord d'un torrent, si loin du ciel natal ! «Et pourtant sache, ô toi, étranger qui hérites du seul trésor du Bédouin, que mon regret avec mon âme s'envolerait si j'étais sûr que Kâtoul, mon coursier, ait en toi un cavalier digne de sa beauté !» Et à peine l'Arabe eut-il fini ce chant qu'il ouvrit convulsivement la bouche, poussa un râle profond et ferma les yeux pour toujours. Alors Kanmakân et son compagnon, après avoir creusé une fosse où ils enterrèrent le mort, après les prières d'usage, partirent ensemble voir leur destinée sur le chemin d'Allah. A ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et remit au lendemain la suite de son récit. (à suivre...)