D'où la question : les persécutions subies par les Juifs en Egypte s'expliquent-elles par des mobiles uniquement raciaux et religieux, comme la Bible l'affirme ? L'Exode a-t-il eu pour cause essentielle l'interprétation d'un songe présageant la destruction d'un empire colossal, par un enfant juif... qui n'était pas encore né ? Les pharaons, si l'on en juge par leur civilisation et leur littérature, n'étaient ni déments ni incultes pour ordonner des mesures discriminatoires aussi insensées. Le récit de la Bible relatif à l'Exode paraît plutôt une suite de niaiseries fabriquées par des fabulistes ignorants ou sans scrupules, pleins de ressentiment et qui avaient pour le merveilleux et les miracles une morbide prédilection. Les historiens et les théologiens qui se sont penchés sur le problème de Moïse supposent que c'est à Tanis qu'il serait né, à une date indéterminée. Sur cette hypothèse, tous les chercheurs sont à peu près d'accord. C'est à Tanis qu'il serait né, qu'il aurait passé sa prime jeunesse et c'est dans les champs qui s'étendent à l'extérieur de cette ancienne capitale que ses prodiges se seraient produits. Mais avant que ne soit abordé le fond d'un problème aussi épineux et aussi délicat à traiter pour un musulman convaincu, c'est-à-dire croyant sincère, mais épris avant tout de vérité, une autre difficulté doit être aplanie ou déclarée impossible à aplanir : le nom de l'illustre prophète. D'où vient-il et quel est le sens de Moïse ? La question de l'attribution des noms, des prénoms et des sobriquets chez les sémites a été fort bien étudiée et résolue par les savants des trois derniers siècles et il n'y a pas lieu d'y revenir. Mais à notre connaissance, ce prénom, patronyme ou surnom est inconnu avant lui chez les Hébreux. On nous dit que Moïse (en hébreu Musheh) dérive d'une vieille racine sémitique 'asa, 'asha qui au participe passé donne mûshâ, mûsâ qui existe en arabe, en effet, avec le sens complexe de «consolé, modèle, guéri». On nous dit aussi qu'il s'agit d'un nom composé copte dans lequel mo signifie «eau» et yas, yès «préservé». Cette explication, «le sauvé des eaux», qui remonte à F. Joseph ne paraît guère plus plausible que la première. De tels rapprochements phonétiques ou sémantiques tirés par les cheveux semblent cacher une réalité plus complexe. Qu'on rapproche ce terme d'une racine hébraïque comme nom ou surnom, et l'on se rend vite compte, pour peu qu'on soit de bonne foi, de tout ce qu'il y a d'artificiel dans un tel tâtonnement et d'inconsistant dans les résultats auxquels on parvient, à moins qu'on ne veuille à tout prix donner à ce nom une origine sémitique ou, ce qui serait plus grave scientifiquement parlant, que l'on se contente des «à-peu-près». Je pense, au contraire, avec beaucoup d'autres, que l'étymologie et le sens de Mûshé, Mûshâ sont à chercher ailleurs, dans la langue même que Moïse parlait et que parlait le peuple au milieu duquel il naquit et vécut, le peuple égyptien, à l'époque pharaonique. (à suivre...)