Cette différence de point de vue mise à part, les principales étapes de la vie de Moïse offrent dans les deux textes sacrés beaucoup d'analogies : sa naissance et sa jeunesse dans le faste d'une cour royale, mais païenne ; le meurtre d'un Egyptien et la fuite vers Madyan, milieu arabe de tradition vaguement abrahamique. Son séjour parmi ces nomades dans un cadre où sa pensée religieuse et sa sensibilité trouvèrent des facteurs propices à leur épanouissement ; son retour en Egypte accompagné des siens, etc. Aucune discordance importante n'est à relever à propos de ces événements, ni de ceux qui marquent les péripéties de sa mission jusqu'à sa mort au Mont Nébo, en Arabie du Nord. Il n'y a donc pas lieu de les retracer en détail ni de les comparer. Ce qui les différencie, c'est moins la narration des faits que la signification qui s'y attache, selon l'une et l'autre de ces deux versions aux divers épisodes de la progression spirituelle de l'illustre Prophète. Néanmoins, il apparaît important de mettre en relief le point de vue de l'islam à cet égard, compte tenu de l'interprétation littérale, métaphorique ou symbolique donnée par les commentateurs, les auteurs de récits des Prophètes, les philosophes dogmatistes et les soufis de l'islam aux faits essentiels qui ont marqué cette prodigieuse mission éclairée par la volonté divine et orientée graduellement vers un but préfixé par Dieu. Il nous semble utile toutefois d'écarter d'ores et déjà ce qu'il y a d'artificiel et d'abusif dans le fait de centrer le sens mystique) des étapes de l'évolution spirituelle de Moïse sur al-Hallâj, comme se plaisent à le faire croire certains amateurs impénitents des similitudes prémonitoires et de l'anagogie puérile que sont certains auteurs contemporains qui ont fort mal digéré leurs acquis en matière islamique. C'est en apercevant une lueur dans le froid et la nuit que Moïse, en quête de nouvelles pour retrouver sa route et de feu pour se réchauffer avec les siens, abandonne ces derniers et marche dans l'obscurité, les yeux fixés dans sa direction. Arrivé à proximité de cette mystérieuse clarté, il entend une voix qui dans la Bible lui interdit de s'approcher, alors que cette interdiction ne lui est pas signifiée dans le Coran. Le lieu où il parvient est particulièrement béni : c'est la vallée sainte de Tûwâ. La voix mystérieuse se fait entendre et lui ordonne de se déchausser, geste extérieur habituel de respect chez les Sémites, mais profond quant à sa signification : il symbolise le renoncement à ce bas-monde assimilé à ce qu'il y a de plus bas dans ce que porte l'homme, de vulgaires sandales dont on se débarrasse aisément. (à suivre...)