Résumé de la 1re partie n Don Corato a quatre fils. Avant de mourir, il désigne l'aîné, Joseph, comme héritier de son empire. En cette année de grâce 1923, au mois d'avril, les catholiques du parti populaire italien démissionnent du gouvernement de Mussolini et Don Corato rejoint sa terre natale. Ci-gît désormais le riche et puissant commerçant de Gênes. «Tu es poussière et tu retourneras poussière, marmonne le vieux prêtre. Deo gratias.» Le lendemain de l'enterrement, Joseph, le fils élu, pénètre dans le bureau de son père défunt, où il a convoqué ses quatre frères. Il respecte ostensiblement le fauteuil de Don Corato et s'assied sur une chaise. La présence invisible l'aidera à assener les ordres qu'il a préparés. «Assieds-toi, Pietro...» Pietro, le veule, s'assied de biais, un bras accroché au dossier comme pour éviter de regarder en face. «Assieds-toi, Luigi...» Luigi, le négligent, croise les jambes et donne un coup de manchette sur son soulier verni. «Assieds-toi, Fortuné...» Fortuné, le fourbe, salue son frère sans le regarder, époussette la chaise et prend place. «Assieds-toi, Jéronime...» Jéronime le lâche, inquiet d'être nommé le dernier, s'assied rapidement, les épaules voûtées. Alors Joseph, le fils élu, ouvre un tiroir du bureau de feu Don Corato, en sort un dossier de cuir, puis un document qu'il lit à haute voix, en exécuteur testamentaire des dernières volontés du père. «Il vous est fait défense de toucher un sou, ou d'en dépenser un sans mon accord. Il vous est fait défense de contracter des dettes, ou de signer un acte quelconque, qu'il s'agisse d'achat ou de vente. Il vous est interdit de divorcer, et de vous remarier en cas de veuvage. Il vous est interdit...» Tout est interdit sans l'accord du chef. Et pour toute faute commise, des sanctions sont prévues, que le commendatore nouveau énumère dans un silence de mort. Puis il pose le document sur le bureau du père, face au fauteuil vide, avance une plume et ordonne : «Vous signez ici, chacun votre nom, dans le respect de notre père vénéré et son souvenir éternel.» Quatre fois, dans le bureau silencieux, la plume crisse sur le papier. Puis le commendatore sèche le document à l'aide d'un tampon buvard à la poignée de corne, le repose sur le bureau, range le document dans le dossier de cuir, le glisse dans un tiroir du bureau qu'il ferme à clé. Alors seulement il repousse la chaise, prend place lentement et solennellement dans le fauteuil du chef, et dit : «Voilà qui est bien. Je déposerai ce contrat au coffre de la banque. Nous pouvons passer à table, mon épouse a préparé pour vous des ravioli...» Ainsi passent les années, dans la tourmente fasciste, la guerre, l'après-guerre. La vie des hommes continue, chaotique. Nikita Khrouchtchev tape sur la table de l'ONU avec sa chaussure, les jeux Olympiques de Rome remplacent ceux de Munich, Adolph Eichmann est piégé par les services secrets d'Israël, et à Gênes, en Italie, les affaires du commendatore Joseph Corato se portent bien. C'est au mois d'octobre de l'année 1960, c'est-à-dire trente-sept ans et six mois après la mort de Don Corato, le père, qu'une chose étrange se produit dans le cabinet d'un petit avocat crasseux, non loin du port, au dernier étage d'un immeuble vétuste. Maître Galatzeo, la mèche brillantinée, une soixantaine d'années et une pluie de pellicules orne le col de sa veste noire. Il incarne à lui tout seul le passé mercantile et souvent juridiquement tordu de la grande cité portuaire. Ce jour-là, il raccompagne obséquieusement un client, en trottinant à pas menus dans un couloir encombré de mille dossiers poussiéreux. Autant de mystères sordides... «J'arrangerai cette affaire, ne vous inquiétez pas...» (à suivre...)