Résumé de la 2e partie n Le lendemain de l'enterrement de Don Corato, le fils aîné, Joseph, lit à ses frères les dernières volontés du père. Maître Galatzeo est un spécialiste des «affaires». Sourire cauteleux, il trame des «arrangements» machiavéliques, embrouille les textes de loi avec dextérité et vit d'honoraires souterrains. Tout au fond de la salle d'attente de maître Galatzeo, se tient un vieillard au visage rond de bébé sénile, aux cheveux blancs, frisés, qui le regarde d'un œil suppliant. La vieille secrétaire glisse à l'oreille de maître Galatzeo : «Il veut absolument vous parler, je ne sais pas qui il est.» Maître Galatzeo ne se fie pas forcément à la mauvaise mine de ses clients éventuels. Une affaire reste une affaire, même si elle sent mauvais. «Vous désirez, monsieur... ?» Le vieillard ne donne pas son nom, il semble embarrassé, gêné, quémandeur aussi, mais de quoi ? «C'est vous, Galatzeo ? — C'est moi... de réputation en tout cas. Que puis-je pour vous monsieur ? — Je n'ose pas vous le demander... — Allons, allons, ce n'est sûrement pas si grave... Je vous écoute... — Je voudrais... avant... s'il vous plaît... avant... je voudrais... manger un plat de ravioli.» Stupéfait, maître Galatzeo reste un instant silencieux, ce qui est rare chez lui, puis il répète sans y croire : «Un plat de ravioli ? C'est ce que vous me demandez ? — Je voudrais le manger...» Le vieillard n'a pas l'air dément ni ivre, il doit avoir quelque soixante-dix ans, peut-être un peu gâteux, sûrement gourmand, car il passe une langue rapide sur ses lèvres rondes, en répétant : «Manger des ravioli... C'est ça que je veux... avant. — Mais avant quoi, monsieur ? — Les ravioli... s'il vous plaît... manger. — Vous n'avez pas d'argent ? C'est ça ? — Ah si, ah si, j'ai de l'argent... beaucoup d'argent... riche... — Et vous ne pouvez pas acheter des ravioli ? Vous êtes peut-être malade ? Le médecin vous a ordonné un régime ? — Malade, moi ? Le médecin ? Pas vu de médecin depuis trente ans... — Alors pourquoi ? Je ne comprends pas… — C'est pour ça que je suis venu vous voir. Moi, je ne comprends pas non plus pourquoi j'ai pas de ravioli à manger quand j'en ai envie, alors que j'aime les ravioli... Donc, je suis venu vous voir... Vous avez des ravioli ?» Maître Galatzeo réfléchit. Vite. Un petit frisson vient de lui parcourir l'échine. Son sixième sens l'avertit que ce vieux bonhomme gourmand de ravioli représente peut-être une bonne affaire. N'a-t-il pas dit être riche ? Très riche ? Dieu et le diable du commerce lui en sont témoins, maître Galatzeo a souvent flairé ainsi de sombres histoires de séquestration de vieillards, de captation d'héritages, de piles de lires sous les matelas... Puisque ce vieux réclame des ravioli, pourquoi ne pas les lui offrir et étudier l'affaire ? Car il y a sûrement une affaire derrière ces ravioli... sûrement. Maître Galatzeo décide qu'il ira déjeuner en compagnie de cet étrange personnage. Il lui tape affectueusement dans le dos, en le traitant de «cher client» et l'entraîne vers un restaurant du port, à l'élégance et à la propreté douteuses, mais où les ravioli sont à la carte. A peine installé devant le plat, le vieillard s'empare d'une fourchette, inonde son assiette de parmesan râpé, lève les yeux au ciel comme en prière et s'empiffre aussitôt. Avec une régularité et un appétit stupéfiants, il avale les ravioli, les engouffre, prenant à peine le temps de faire glisser le tout d'un verre de vin. Il est affamé, grotesque, tragique et il en redemande... (à suivre...)