Evocation n Le 21 octobre, Najia Abeer disparaissait soudainement, alors que sa carrière d'écrivain commençait à peine de façon plus que prometteuse. La lecture de son premier roman, Constantine et les moineaux de la murette (éd. Barzakh), a été un moment particulièrement bouleversant. Il est vrai que les mots n'ont pas toujours la force de la vie, pourtant elle a si bien dit les choses ! Cette chronique d'une enfance vécue est très touchante. D'abord parce que de très nombreux souvenirs extraordinairement précis jalonnent le récit, et puis parce que l'on comprend très vite tout l'amour de la narratrice pour sa ville. On y suit la jeunesse d'une petite fille arabe que la guerre, si hypocritement appelée «évènements», sépare de plus en plus de la communauté française. Elle devient bouleversante quand le lecteur réalise que Najia est à la recherche de ce qui a pu la séparer de son Rocher (Constantine est bâtie sur un rocher, ce qui en fait tout son charme), puisqu'elle est «expatriée» sur Alger depuis de nombreuses années. C'est dans la chronique familiale que se trouve la clef. Dans ce roman, l'auteur part à la reconquête de l'antique Cirta, comme si la ville des ponts l'avait répudiée. C'est un livre attachant, sensible, premier tome d'une trilogie dont le second volume, Bab El-Kantara (éd. Apic), a été édité en 2005, juste avant sa subite disparition. On le lit d'un trait, avec les odeurs de cette ville magique et ses bruits témoins du quotidien de cette cité imprenable, certes assez conservatrice mais si hospitalière, aux habitants fiers et généreux. Cette générosité, on la retrouve à chaque page de ce livre merveilleux. Cette trilogie sera interrompue par un ouvrage très différent, essentiel si l'on veut connaître Najia : L'Albatros (éd. Marsa). Il paraîtra en septembre 2004 et, outre l'analyse politique et sociale, l'auteur, avec une précision chirurgicale, nous dévoile les combats personnels de Nedjma, héroïne avouée du roman qui ne peut être que la copie conforme de celle qui l'a créée. Elle se débat dans une société en crise, auprès (le plus souvent loin) d'un mari nombriliste qui ne se soucie que de sa carrière. Elle se bat contre un cancer implacable et repousse la mort avec succès, tout en élevant ses trois enfants. Belle revanche sur la vie et sur les hommes ! Najia était rebelle, passionnée, parfois violente, mais toujours à l'écoute des autres et soucieuse de partager l'histoire de son pays, de sa ville. Tous ses écrits le prouvent et c'est aussi en cela que nous sommes tous orphelins. Elle était libre et indépendante, rien ne pouvait la faire taire. Elle avait le courage de ses opinions. Elle avait l'intelligence et la dignité. Elle était «droite dans ses bottes» et c'est tout cela qui la rendait attachante. Elle avait le sens de l'amitié fidèle et donnait sans compter, malgré tous les aléas de la vie, de sa vie. Son écriture était fluide, belle. On s'y retrouvait et on l'y retrouvait, à condition de la connaître un peu. Elle n'a pas eu le temps de tout exprimer ce qu'elle avait en elle. Tout le temps elle voulait entreprendre quelque chose de nouveau, au risque de s'éparpiller, de se saouler. Dernièrement, la peinture avait suivi le chemin de ses poèmes et elle travaillait sur des projets de documentaires et autres publications, encore et encore consacrés à Constantine.