Il y avait un sultan qui voulut, un jour, mettre à l'épreuve l'obéissance de ses sept fils qui étaient tous mariés. Il les réunit et, sans motif, leur ordonna de raser les têtes de leurs épouses. Tous baissèrent les yeux de soumission et s'empressèrent d'exécuter l'étrange commandement, hormis le plus jeune d'entre eux, Ahmed, qui se trouvait marié à sa cousine. — Aussi grand que soit le respect que je vous dois, je n'infligerai jamais gratuitement à ma cousine une telle flétrissure, osa-t-il répliquer à son père. Contrarié au plus haut point, le sultan exila de son royaume le fils insoumis et sa femme. Après avoir laissé sa femme en lieu sûr, le prince Ahmed, qui n'avait pour lui que sa force et son courage, partit à l'aventure dans l'espoir d'acquérir quelque fortune. Il connaissait l'existence d'un ogre redoutable vivant en solitaire sur une montagne, dans un somptueux château. Il alla le trouver et le combattit en duel. Il le terrassa et, le supposant mort, alors qu'il n'était que blessé, l'enferma dans une pièce reléguée au fond du château. Il alla ensuite chercher sa femme à qui il remit les clés du château en disant qu'il l'autorisait à visiter toutes les pièces, à son gré, à l'exception de celle du fond. Passionné de chasse, le prince Ahmed se rendait chaque jour à la forêt, abandonnant ainsi sa femme seule dans l'immense château. Il partait à l'aube pour ne rentrer qu'au crépuscule. Sur le chemin de retour, il ne manquait jamais de s'accorder une halte dans la cabane solitaire d'une vieille femme dont l'unique fils venait de mourir en guerre dans une contrée lointaine. Il la respectait comme sa propre mère, et elle le chérissait avec tendresse comme son propre enfant. Il lui laissait toujours la moitié du gibier qu'il avait abattu. Pour l'en remercier, elle régalait son cheval d'orge grillé. Au château, la femme du prince passait ses journées à flâner d'une pièce à l'autre. Toutes les pièces étaient garnies d'objets merveilleux dont l'œil chercherait en vain à épuiser les charmes. Bien qu'elle fût toute seule et en possession de la clé, les premiers temps, elle ne pensa jamais à la pièce du fond. Seulement, un jour, le soupçon et la jalousie s'insinuèrent dans son esprit, et elle se demanda si la pièce défendue ne cachait pas en fait une rivale. Pour en avoir le cœur net, elle résolut de passer outre l'interdiction de son époux. Mais à peine avait-elle poussé la porte de la pièce suspecte qu'il lui parvint un gémissement qui la cloua de stupeur. Elle voulut reculer, mais sa curiosité était plus forte que sa frayeur. Elle avança d'un pas et demanda : — Qui va là ? Un être maléfique ou de bonne compagnie. Et l'ogre de répondre d'une voix affaiblie : — Je suis l'ogre que ton mari a cru avoir tué. Approche et guéris mes blessures. Je jure par Dieu et son prophète que je ne toucherai pas à un seul de tes cheveux. N'ayant rien d'autre à faire pour remplir ses longues journées, la femme prit désormais l'habitude de rendre visite à l'ogre quotidiennement. Elle soignait ses blessures avec délicatesse et le nourrissait copieusement des produits de chasse rapportés par son mari. Aussi, peu à peu, il revint à la vie et se rétablit. Quand enfin il fut en possession de toute sa vigueur d'autrefois, son hôtesse lui demanda de tuer son mari. C'est un homme invincible que je ne pourrai pas affronter en combat singulier. Nous ne triompherons de lui que par la ruse, répondit l'ogre, instruit par le souvenir de sa récente déconfiture. (à suivre...)