Sentence A Béni Izghen (Ghardaïa) c?est la «djemaâ» qui décide du sort réservé à quiconque, comme Rostom, enfreint les règles de la communauté. ? Où est-il, ce lâche ? ? Quand je suis ressorti du puits, il n?était plus là. Il s?était enfui à toutes jambes. Longtemps, les sauveteurs restent penchés au-dessus du puits, dans le fol espoir de voir un signe du malheureux disparu. Puis, ils se dirigent vers la grande place, marchant en groupe, Hadj Slimane le premier, sa chéchia blanche dans la main, sa tête à demi-chauve en plein soleil. Les oncles et les cousins de la victime accourent, éperdus de douleur. Arrivés sous les arcades Hadj Slimane crie à un groupe de commerçants occupés à examiner un grand tapis blanc, orné d?une grande rose rouge en son centre : ? Hadj Benyahia est-il là ? ? Oui, Slimane, me voilà ! Qu?y a-t-il ? L?homme qui vient de sortir d?une petite boutique est grand, légèrement voûté par les ans. Sa barbe blanche ajoute à son air serein. ? Qu?y a-t-il ? répète-t-il, voyant le groupe autour de Slimane. Ce dernier le met au courant et Bakir est appelé pour donner les détails de l?accident. La nouvelle fait le tour de la place. ? Il faut punir ce garçon qui n?a pas voulu secourir son frère ! déclare solennellement Benyahia. On appelle les membres de la «djemaâ». Un à un, des vieillards vêtus de blanc viennent assister à ce procès à ciel ouvert. Debout, les autres hommes écoutent en silence. Les faits sont relatés à nouveau, et le témoin interrogé. ? Dieu est un ! Je connais Rostom depuis son enfance, personne ne s?est jamais plaint de lui. Il aura eu peur pour sa propre vie ! ? Oui, c?est possible? Moi aussi je le connais, il est honnête? Que lui a-t-il pris ? On peut considérer cela comme un crime ! Laisser quelqu?un mourir comme ça, Dieu lui pardonne ! ? Il lui aurait suffi de lui tendre la corde, dit Slimane. Bakir me l?a dit. Il était comme fou ! ? Il a eu peur de tomber à son tour? Mais, il était attaché, lui ? c?est bien ça, dit un petit vieillard à barbiche blanche, en se tournant vers Bakir debout derrière lui. ? Oui, au début, ils étaient attachés tous les deux, mais Moussa a enlevé sa corde, elle le gênait certainement, répond ce dernier. ? Rostom est orphelin, il a grandi chez son oncle paternel? Il a peut être paniqué, croyant que le puits allait s'écrouler sur eux ! dit encore le vieillard à barbiche. Les autres restent silencieux un moment. Puis Hadj Benyahia dit : ? Nous allons l?exiler, il ne doit plus rester avec nous à Ghardaïa ! Qu?il aille où il veut, mais qu?il ne remette plus jamais les pieds ici !? ? Oui, c?est cela ! ? Allah ibêrek ! Laissons à Dieu le soin de le punir ! Le soir même, Rostom, qui s?était réfugié sous un palmier au bord de la route, terrorisé, se voit prononcer la sentence d?exil. ? Tu t?en tires à bon compte, pour ce que tu as fait ! lui dit Bakir, en le regardant d?un air méprisant. Tu n?es pas un homme et tu ne mérites plus de vivre avec nous ! Si un jour tu reviens, tu sais ce qui t?attend, va ! C?est la décision de la djemaâ ! Je voudrais bien ne t?avoir jamais connu ! Et un peu plus tard, Rostom va à pied sur la route bitumée. Personne ne veut le prendre à bord de son véhicule. Il marche très longtemps, et quand il se retourne, il voit, dans le soleil couchant, la grande citadelle auréolée de rouge, majestueuse, secrète, avec ses maisons étagées autour de la bute abritant la grotte de «Daya» Lella Saliha. «Celle pour qui tout est facile», et dans un murmure, il prononce un seul mot : «Pardon !»