Débat n Abderrahmane Moussaoui, enseignant à l'université de Provence et chercheur au Cnrs de France, a animé, hier au CCF, une conférence sur les origines et les mécanismes de la violence ou «les lois du chaos» en Algérie. Le conférencier a tenté, dans son intervention, de donner à travers un éclairage anthropologique un exposé pointilleux sur l'échange social et symbolique de la violence et de la mort dans une société en mutation qui a vécu un moment sanglant de l'histoire récente durant la décennie noire. Ce géographe de formation qui fut enseignant à l'université d'Oran se tourne plus tard vers ses centres d'intérêts focalisés sur tout ce qui a trait à la mort dans les sociétés musulmanes : les rites funéraires et les espaces sacrés que sont les cimetières. Cet urbaniste a l'affût d'une explication sociale s'interroge sur les raisons qui font de ces espaces des domaines encore inexplorés par les chercheurs. Il comprend que ces espaces sacrés reflètent toute une vie sociale et surtout des attitudes humaines face aux questionnements ontologiques : «Etant sociologue, le niveau de lecture moyen m'importait peu, ce qui m'intéressait c'était d'être plus près du réel en voyant ce que font concrètement les gens.» En étudiant le sacré comme un phénomène en dehors de l'ordinaire, notre auteur constate que ces rituels liés à la mort sont en fait des gestes transhistoriques, à savoir qu'ils évoluent depuis très longtemps. Or «à un moment donné de l'histoire de l'Algérie, certains rituels réapparaissent en produisant une accélération, signe que les choses ont changé», explique A. Moussaoui. Comme le sacré est surtout une donnée qui appartient à la religion et que la gestion de cette dernière est devenue quasi bureaucratique dans la société, certaines attitudes irrationnelles sont devenues importantes pour les gens. C'est à ce niveau de lecture que notre conférencier nous propose des clefs qui permettent d'appréhender ce qui devient incompréhensible. Autrement dit, comment une société bascule dans la violence et le crime ? Il existe, selon lui, plusieurs discours mais qui rejettent tous les causes sur l'autre. «Ce discours tente de préserver le moi social mais la réalité est là : le nous est en train d'éclater», commente-t-il. Le discours des économistes invoquant la chute du baril du pétrole et les retombées sur la violence et la société, celui des psychanalystes avec ses références psychopathologiques sont pour A. Moussaoui des analyses qui restent linéaires. «Je voulais voir comment les événements pouvaient concourir à cette violence, à savoir les mettre avec le centre actif lié à l'un des fondements de la nation qui est la croyance commune en l'Islam», explique-t-il. Comment la religion cristallise un projet de révolte qui va faire la guerre à l'autre puisque l'Etat n'accorde plus ses largesses à la société. «Ce projet est arrivé comme une moralisation de cette politique, la violence étant un désir de vivre ensemble en redéfinissant les règles», ajoute-t-il. Le projet de mort est en réalité un appel à la vie face à un désarroi profond. «Dans sa sortie de crise, l'Etat a évolué vers une justice restauratrice. Toutefois, cette symbolique réparatrice de quelque chose devrait faire passer les choses de l'ordre du factuel à l'ordre symbolique qui rassemble les gens», conclut notre conférencier.